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INTRODUCTION.

sion ambitieuse), un rang plus élevé que les autres chanteurs, il représente assez bien, avec le poëte mendiant, mais moins en laid, il faut en convenir, ces gueux et ces ménestrels vagabonds, ombres des bardes primitifs, à qui Taliésin donnait l’injurieux sobriquet de bardes dégénérés, et auxquels il faisait un crime de vivre sans travail et sans gîte, de servir d’échos à la voix publique, de débiter les nouvelles en vogue parmi le peuple et de courir les fêtes et les assemblées. Aucun des reproches qu’il leur adresse ne serait déplacé dans un sermon des missionnaires bretons ; nous en avons entendu plus d’un tenir, à l’égard des chanteurs populaires, un langage peu différent de celui du satirique cambrien.

On pourrait démêler encore, dans les traits des barz ambulants, quelques rayons perdus de la splendeur des anciens bardes. Comme eux ils célèbrent les actions et les faits dignes de mémoire ; ils dispensent avec impartialité, à tous, aux grands et aux petits, le blâme et la louange ; comme eux ils sont poëtes et musiciens ; dans mon enfance, ils essayaient de relever le mérite de leurs chants, en les accompagnant des sons très-peu harmonieux d’un instrument de musique à trois cordes, nommé rébek, que l’on touchait avec un archet, et qui n’était autre que la rote des bardes gallois et bretons du sixième siècle[1].

On sait que ceux de ces poëtes qui étaient aveugles faisaient usage de certaines petites baguettes ou tailles, dont les coches, disposées d’une façon particulière, leur tenaient lieu de caractères, et fixaient dans leur mémoire les chants qu’ils voulaient y graver. Cette espèce de mnémonique s’appelait en Galles l’alphabet des bardes[2] ; plusieurs aveugles s’en servent encore

  1. Chrota britanna. (Venant. Fortunat., lib. VII, p. 170.) Marie de France la dit aussi populaire que la harpe :

    Fu Gugemer le lai trovez
    Que hom dist en harpe è en role. (Poésies, t. I, p. 113.)

  2. Coelbren y Beirdd. (Jones, Musical and poetical Remains, t. III, p. 4.)