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INTRODUCTION.

Mais un examen détaillé de la poésie populaire de Bretagne, dans son état actuel, infaillible garant de son état passé, jettera un plus grand jour sur la question. Voyons donc quel est aujourd’hui le mobile de cette poésie, eu égard à ses trois genres littéraires, et quels en sont les auteurs.

Et d’abord, à qui s’adresse-t-elle ? — A tous ceux qui parlent breton, au petit peuple des villes, aux habitants des bourgs, des villages et des campagnes, à la masse de la population bretonne, à douze cent mille individus sans culture, sans autre science que l’instruction orale qu’ils reçoivent du clergé, et sans autres biens que le trésor de chants et de traditions qu’ils amassent depuis des siècles ; gens avides d’émotions et de nouvelles, pleins d’imagination, de mémoire et de besoin de connaître, qui vont demander aux chanteurs leurs plaisirs intellectuels de chaque jour.

Chroniqueur et nouvelliste, romancier, légendaire, lyrique sacré, le poëte est tout pour eux.

Le rôle de chroniqueur est celui qu’il joue le plus habituellement. Tout événement, de quelque nature qu’il soit, pour peu qu’il soit récent, et qu’il ait causé une certaine rumeur, lui fournit la matière d’un chant ; si le poëte est en renom, et si l’événement est propre à faire honneur à une famille, cette famille vient souvent le trouver pour le prier de composer un chant qu’elle paye généreusement : j’en ai eu maintes fois la preuve. C’est la foule qui lui indique les sujets qu’il doit traiter ; ce sont les goûts, les instincts, les passions de la foule qu’il suit ; il exprime ses idées, il traduit son opinion, il s’identifie complètement avec elle. Ceci est d’ailleurs, pour les chants du poëte, et par contre-coup pour sa réputation, une question de vie ou de mort ; le peuple est juge et partie, il faut lui plaire à tout prix. Si le chanteur s’avisait de traiter un sujet d’une époque reculée, un sujet étranger aux idées, aux mœurs et aux habitudes actuelles, de prendre pour héros de