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LE FRÈRE DE LAIT.

moiseau moiscau Lauval. C’est aussi là, on n’en peut douter, qu’abordent le frère de lait et sa fiancée. Mais nulle âme, dit-on, n’y était admise qu’elle n’eût reçu les honneurs funèbres ; elle restait errante sur le rivage opposé jusqu’à l’heure où le prêtre recueillait ses os et chantait son hymne de mort. Cette opinion est aussi vivace aujourd’hui en Basse-Bretagne qu’au moyen âge, et nous y avons vu pratiquer les cérémonies funèbres qui s’y pratiquaient alors.

Dès qu’un chef de famille a cessé de vivre, on allume un grand feu dansl’âtre, on brûle sa paillasse, on vide les cruches d’eau et de lait de sa demeure (de peur, dit-on, que l’âme du défunt ne s’y noie). Il est enveloppé de la tête aux pieds d’un grand drap blanc ; on le couche sous une tente funèbre, les mains jointes sur la poitrine, le front tourné vers l’Orient. On place à ses pieds un petit bénitier, on allume deux cierges jaunes à ses côtés, et on donne ordre au bedeau, au fossoyeur, ou quelquefois à un pauvre, d’aller porter « la nouvelle de mort. » Cet homme va de village en village, vêtu, en Tréguier, d’une souquenille noire semée de larmes, agitant une clochette et disant à haute voix « Priez pour l’âme qui a été un tel ; la veillée aura lieu tel jour, à telle heure, l’enterrement le lendemain. »

De tous côtés, vers le coucher du soleil, on arrive au lieu indiqué. En entrant, chacun vient tremper dans le bénitier un rameau qu’il secoue sur les pieds du défunt. Lorsque la demeure est pleine, la cérémonie commence : on récite d’abord en commun les prières du soir et l’office des trépassés ; puis les femmes chantent des cantiques. Le défunt reste toujours enveloppé. La veuve seule et ses enfants viennent soulever de temps à autre un coin du drap et le baiser au front. A minuit, on passe dans l’appartement voisin, où le « repas des âmes » est servi. Le mendiant s’y assoit à côté du riche : ils sont égaux devant la Mort. Au reste, comme nous aurons occasion de le dire encore, le pauvre est toujours associé aux douleurs comme aux plaisirs de tous, en Bretagne ; il a sa place à la table de mort, comme au banquet des noces.

Au point du jour, le recteur de la paroisse arrive, et tout le monde se retire, à l’exception des parents, en présence desquels le bedeau cloue le défunt dans la bière. Aucun membre de la famille, ni la veuve, ni les frères, ni les sœurs, ni même le plus petit enfant, ne doit manquer à ce suprême et solennel adieu ; c’est un devoir sacré. On charge ensuite le mort sur une charrette attelée de bœufs. Le clergé, précédé de la croix, ouvre la marche du cortège funèbre ; ensuite vient le corbillard, que suivent la veuve et les femmes en coiffes jaunes et en mantelets noirs plissés, deuil des paysannes, et les autres parents, la tête nue et les cheveux au vent. On se dirige ainsi vers l’église du bourg, où l’on dépose la bière sur les tréteaux funèbres. La veuve reste agenouillée près de son mari pendant toute la cérémonie, et ne se relève que pour le suivre au cimetière.

Le plus grand silence a régné jusque-là ; on n’entend que la voix des prêtres qui chantent les hymnes, et des cloches qui sonnent les glas. Mais aussitôt que l’officiant, debout sur le bord de la tombe, a murmuré les derniers mots de la prière des morts, que le fossoyeur a laissé glisser la bière dans la fosse, que l’on touche à l’instant où l’on va perdre pour