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CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE.
XVII


LA FIANCÉE DE SATAN
— DIALECTE DE LÉON —




ARGUMENT


« Quiconque est fiancé trois fois sans se marier va brûler en enfer. » Cet aphorisme, qui fait le thème d’une vieille ballade, a sans doute son origine dans le respect que professaient autrefois les Bretons pour la sainteté des fiançailles ; sa forme rhythmique est celle des maximes bardiques, et nous ne serions pas étonné que c’en fût une rajeunie.

Selon les bardes, les âmes avaient trois cercles à parcourir ; le premier était le cercle de l’infini ; le second, celui de [’épreuve ; le troisième, celui de la béatitude. C’est ce qu’établissent des documents que nous ont laissés les Gallois du moyen âge[1].

L’âme, d’après nos poètes d’Armorique, devait, avant d’arriver en enfer, passer par les étangs de l’Angoisse et des Ossements, les vallées du Sang, et enfin la Mer, au delà de laquelle s’ouvraient les bouches de l’Abîme ; un poëme cambrien antérieur au dixième siècle reconnaît aussi, dans le séjour de la Mort et des Peines, une vallée nommée la « vallée des Eaux de l’Angoisse[2]. » Il y avait de même dans le Niflyheim des Scandinaves un fleuve ou lac de la Douleur.

Voici maintenant ce que racontent Procope et Claudien :

« Les pêcheurs et les autres habitants des côtes de la Gaule qui sont en face de la Grande-Bretagne, dit le premier de ces auteurs, sont chargés d’y passer les âmes, et, pour cela, exempts de tributs. Au milieu de la nuit, ils entendent frapper à leur porte ; ils se lèvent : ils trouvent sur le rivage des barques étrangères où ils ne voient personne, et qui pourtant sont si chargées, qu’elles semblent sur le point de sombrer et s’élèvent d’un pouce à peine au-dessus des eaux. Une heure leur suffit pour le trajet, quoique avec leurs propres bateaux ils puissent difficilement le faire dans l’espace d’une nuit[3]. »

« Il est un lieu, poursuit Claudien, il est à l’extrémité de la Gaule, un lieu battu par les flots de l’Océan..., où l’on entend les plaintes des ombres volant avec un léger bruit. Le peuple de ces côtes voit des fantômes pâles de morts qui passent[4]. »

On croit que Procope et Claudien, et les poëtes bretons, ont voulu désigner la pointe la plus reculée de l’Armorique, la pointe du Raz et la

  1. V. la triade des cercles. Owen's Pugh., Dict., v. II, p. 214. Cf. les Bardes bretons. P. 389.
  2. Myvyrian, t. I, p. 74.
  3. De Bell. goth., lib. IV, c. xx.
  4. Claudian., in Rufin., lib. I.