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BRAN.

on compare, avec le paragraphe cinquième de la ballade, les vers suivants dont je rajeunis un peu le style :


Yseult est de la nef issue (sortie),
Ot (ouït) les grandes plaintes en la rue,
Les seins (cloches) aux moustiers, aux chapelles,
Demande aux hommes quelles nouvelles,
Pourquoi ils font tel soneis (sonneries)
Et de quoi sont les plureis (pleurs).
Un ancien donc lui a dit :
Belle dame, si Dieu m’aït (m’aide)
Nous avons ici grand’ douleur
Ne oncques gens n’eurent maür (plus grande)
Tristan, le pieux, le franc est mort...
D’une plaie que en son corps eut.
En son lit ore endroit (tout à l’heure) mourut.
Oncques si grand’ chetivaison (maliieur)
N’advint en cette région.
Dès que Yseult la nouvelle ot
De douleur ne put sonner (dire) mot;
De sa mort est si adolée! (désolée)
Par la rue va désfabulé...
On s’émerveille en la cité
D’où elle vient, ki elle soit :
Yseult va là ou le corps voit,
Et se tourne vers l’Orient,
Pour lui prie piteusement :
« Ami Tristan, quand mort vous vois,
Par raison vivre puis ne dois;
Mort êtes pour la mienne amour
Et je meurs, ami, de tendrour (tendresse)
Quand à temps je n’ai pu venir. »
De juste (auprès) lui va donc gésir (se coucher),
Elle l’embrasse et puis s’étend,
Son esperit aitant (aussitôt) rend[1].

Cette paraphrase seule attesterait l’antériorité de la pièce armoricaine. Une autre circonstance fort intéressante, est la mention expresse de joueurs de harpe dans le château des seigneurs bretons. La harpe n’est plus populaire en Armorique ; ou se demandait même si elle le fut jamais. Maintenant il n’est plus douteux qu’elle y ait été en usage. Nos Actes en fournissent d’ailleurs d’autres preuves que je m’étonne de n’avoir jamais vues citées. L’un d’eux, de l’an 1069, passé au château d’Auray, par le comte Hoël, prouve que ces musiciens occupaient à la cour des chefs armoricains le même rang honorable que dans celle des princes gallois contemporains, car un joueur de harpe nommé Kadiou (Kadiou Citharista) signe avant sept moines, dont deux abbés crossés[2].

  1. Voir le texte original dans le Roman de Tristan, édit. de F. Michel, p. 83, 84, et 85.
  2. Cartular. Kemperieg., ap. D. Morice, Preuves, t. I, col. 432.