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CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE.


Bretons. Taliésin, outre la terre, l’eau, l’air et le feu, y comprend les atomes, ainsi que notre poëte, et y joint les brumes et le vent, sous-entendus par celui-ci[1].

VIII. Les huit feux rappellent les feux perpétuels qu’entretenaient les Druides dans certains temples de l’île de Bretagne, en l’honneur d’une déesse que Solin, poussé par la manie d’assimiler les divinités celtiques aux dieux des Grecs et des Romains, confond avec Minerve[2]; mais il ne mentionne pas le nombre de ces feux. Un poëme gallois, où l’on fait deviser Merlin et Taliésin, en nomme sept. « Il y a, dit l’auteur, sept feux supérieurs, symbole de sept batailles sanglantes[3]. Cette montagne de la guerre, où sont allumés les feux dont parle le poëte armoricain, ne paraît pas sans rapport avec le témoignage du barde sambrien. Le huitième feu, le feu principal semble être le Bel-tan que les Celtes d’Irlande allumaient sur les montagnes en l’honneur du soleil, au mois de mai, précisément à l’époque indiquée dans le poëme breton.

Un des plus anciens bardes gallois, Avaon, fils de Taliésin, passe pour avoir composé une hymne pyrolatrique où il chante le char du soleil et ses blonds coursiers, sous la figure du feu sacré :

« Il s’élance impétueusement, le feu aux flammes rapides et dévorantes! Nous l’adorons plus que la terre! Le feu ! le feu! comme il monte dun vol farouche ! comme il est au-dessus des chants du barde ! comme il est supérieur à tous les autres éléments! Dans les guerres, il n’est point lent!... Ici, dans ton sanctuaire vénéré, ta fureur est celle de la mer; tu t’élèves; les ombres s’enfuient! Aux équinoxes, aux solstices, aux quatre saisons de l’année, je te chanterai. Juge brûlant, guerrier sublime, la colère profonde[4]! »

Les huit génisses blanches de la Dame, qui paissent l’herbe de l’ile, peuvent ne pas être sans rapport avec les génisses blanches consacrées à une déesse celtique, adorée dans l’ile de Mon, à l’époque où vivait Tacite. Si l’épithète de don, profonde, par laquelle le poëte armoricain qualifie l’île dont il parle, était une altération du mot Mon, l’identité serait parfaite. Quoi qu’il en soit, Inis Mon signifie « l’île de la Génisse » dans le dialecte breton du pays de Galles[5].

X. Une antique tradition relative aux côtes d’Aber-Vrac’h, en Armorique, mentionnée par un chroniqueur du quinzième siècle, et par d’autres écrivains bretons, me semble de nature à éclaircir la strophe des neuf petites mains blanches exposées sur la table de pierre, au pied de la tour de Lezarmeur, et des neuf mères qui gémissent. « Selon cette tradition, dit Pierre le Baud, on immolait jadis des enfants à une fausse divinité, sur un autel d’Aber-Vrac’h, dans un lieu appelé Porz Keinan, c’est-à-dire le Port des Lamentations, à cause des gémissements que poussaient les mères des victimes.[6] »

  1. Myvyrian, t. I, p. 25.
  2. Solin, Polyhistor., cap. xxii.
  3. Myvyrian. ibid, p. 49.
  4. Ibidem, p. 45.
  5. Owen Welsh dict., l. II, p. 331.
  6. Cf. Grégoire de Rostrenen, Dict., p. 360, et dom le Pelletier, Dict. col. 474.