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CHANTS POPULAIRES DE LA BRETAGNE.


et sous forme de dialogue[1]. Diogène Laërce complète le témoignage de César en disant qu’ils y employaient souvent l’énigme et la figure[2]. Il nous prouve en outre, par une citation, que leur rhythme privilégié était le tercet, ou strophe de trois vers monorimes. Le chant armoricain offre donc, quant au fond et quant à la forme, les caractères généraux des leçons des Druides ; on y retrouve les principales données de leur enseignement ; il présente la même méthode technique, à savoir le dialogue et le tercet, et les énigmes n’y manquent pas ; essayons de les deviner.

I. L’Unité nécessaire, que le maître identifie avec la Mort[3], pourrait être la divinité dont César rend le nom celtique par Dis, dieu des ombres chez les Romains. Les Gaulois, d’après les Druides, le regardaient comme le chef de leur race, et l’appelaient leur Père[4]. C’est peut-être aussi le Destin, le Fatum, dieu suprême de la plupart des peuples de l’antiquité.

II. Les deux bœufs sont probablement ceux de Hu-Gadarn, divinité des anciens Bretons. La mythologie celtique, en partie conservée dans les poëmes de quelques bardes gallois, nous apprend qu’ayant traîné hors des eaux du déluge, au moyen de fortes chaines, un crocodile monstrueux qui avait été la cause de la submersion de l’univers, l’un mourut de fatigue, l’autre de chagrin de la perte de son compagnon[5]. La coque[6] qu’ils tirent après eux avec tant d’efforts serait celle du crocodile.

III. Les trois vies et les trois morts de l’homme semblent rentrer dans les trois sphères d’existence de la mythologie bardique : « Je suis né trois fois, » dit Taliésin[7].

Je ne sais si, en prêtant la même destinée à l’homme et au chêne, le poète armoricain n’entendrait pas plutôt parler des Druides, dont cet arbre était le symbole, que de l’arbre lui-même. Le témoignage de Taliésin viendrait encore à l’appui de cette opinion : « Chêne est mon nom, » dit-il[8].

Les trois royaumes de Merlin paraissent correspondre avec la troisième sphère mythologique des traditions galloises, celle de la Béatitude[9].

Le Merlin, auquel sont soumis les trois royaumes célestes dont il est ici question, n’est, on le sent bien, ni le barde guerrier, ni le devin de ce nom ; il est difficile de ne pas voir en lui une divinité celtique[10].

IV. Les quatre pierres à aiguiser que le poëte armoricain lui prête se réduisent à une seule dans les traditions galloises, qui les mettent au nombre des treize talismans dont Merlin fit présent aux Bre-

  1. Disputant, et juventuti tradunt. (De bello gallico.)
  2. Præmia, p. 5, liv. C, sect. vi.
  3. En breton, Ankou ; en gallois, Angen ; en cornique, Ankouin, mourir et oublier (cf. avec l’armoricain Ankounac’haat).
  4. Galli se omnes ab Dite patre prosnatos prædicant, idque ab Druidibus proditum dicunt. (Lib. VI.)
  5. Myryrian, Archaiology of Wales, t. II. p. 57 et 74.
  6. Kib, boite, coque, pot (Le Gonidec, Dict., p. 89) ; pluriel, kibou, kibi, cercles. En gallois kib signifie vaisseau, coque, cosse d’un fruit, coquille. (V. Owen, Welsh dictionnary.)
  7. Myvyrian, Arch. of Wales, t. i, p. 76.
  8. Ibidem, p. 30.
  9. Kylch y Gwynfyd (cf. l’armor. Gwenvidigez).
  10. Pour les preuves je prends la liberté de renvoyer le lecteur à mon livre intitulé : Myrdhinn l’enchanteur Merlin, p. 6 et suiv. et aux fragments no viii du présent recueil.