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DE LA VIE RÉELLE.

le Grand Vicaire ; je vais voir à remplacer Mad. Mathilde — qui a besoin de repos aussi — par votre vieille Madeleine qui est à la veille de se lever, et je m’étendrai sur ce canapé, non loin de la chambre où repose Madame, en sorte qu’au besoin rien ne manquera. Du reste, ajouta-t-il, rien d’alarmant jusqu’à présent quant à l’état physique.

Le vieillard était trop sensé pour trouver à redire à ces sages avis, et il savait d’ailleurs que le lendemain lui réservait une forte tâche qu’il lui faudrait remplir, et que perdant quelques heures d’un bon sommeil, à son âge, malgré sa vigueur physique et son énergie morale, la pauvre machine humaine se détraque vite.

En serrant la main du jeune homme, le vieillard dit en souriant tristement : Je vais faire comme Bonaparte à la veille d’une grande bataille ; il s’enveloppait dans son manteau et dormait en plein champ. Je vais m’envelopper de ma grosse soutane d’hiver et reposer sur ce canapé……

Les avis et les ordres du docteur furent donc transmis et suivis à la lettre, et on dormit ou plutôt on reposa plus ou moins au presbytère jusqu’à huit heures du matin ; le saint prêtre était toutefois, à cette heure, rendu à l’église, disant la messe, le père Antoine agissant comme servant et ignorant les grands événements qui se passaient au presbytère, le bonhomme s’était couché à neuf heures précises, et ayant consciencieusement dormi jusqu’à cinq heures (moyen infaillible d’entretenir en bon ordre et condition la mâle énergie qui, on s’en rappelle, faisait les délices des narquoises gens de Sorel……) alors qu’il s’était levé comme d’habitude pour faire son train… et vaquer à ses autres occupations, notamment à la sacristie, où il fut néanmoins un peu inquiet et surpris de voir que M. le grand-Vicaire n’était pas rendu à cinq heures et demie précises pour dire sa messe. Mais sa patience fut récompensée en voyant venir le vénérable prêtre, un peu avant huit heures, vers la sacristie.

À son retour de l’église, le curé apprit par le jeune médecin qui avait sommeillé, que l’état de Julie était rassurant et son sommeil bon.

Il fut convenu qu’au déjeuner on mettrait Mathilde tout à fait au courant de la situation ; — ce qui fut fait, à la grande stupeur de cette dernière, mais elle promit de faire l’impossible pour bien s’acquitter de sa pénible tâche ; ce dont, du reste, l’on était sûr. Le médecin prescrivit un repos absolu, et pas de conversation sous aucun prétexte avec Julie, ce dont cette dernière devait être avertie dès qu’elle s’éveillerait et essaierait de parler, le tout par l’ordre positif du médecin. Le curé, du reste, devant seconder efficacement, on le savait, Mathilde sous ce rapport. Cela aurait pour résultat de gagner du temps, puis d’amener plus promptement la convalescence avant de rien révéler à Julie, qui, sans doute, s’enquèrerait bientôt de son mari.

Il fut en outre résolu que le Grand-Vicaire, en répondant à la lettre du curé de XXX, insisterait pour l’arrivée prochaine à Sorel d’une tante de Julie que celle-ci affectionnait particulièrement, et que la famille de Julie et celle de son mari seraient en tous points, par le message du Grand-Vicaire, mises au courant de tout ce qui s’était passé et se passerait à Sorel jusqu’à l’envoi du message.

Le bon Père après cela alluma sa pipe tout en causant avec le jeune médecin ; on convint que le curé irait voir le messager pour de nouveaux détails, et durant ce temps, dit le docteur : — J’irai prendre un bain de soleil, et, dans l’après-midi, il me faudra absolument traverser à Berthier,