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DE LA VIE RÉELLE.

nous ayant donné la vie, a seul le droit de la reprendre, Mais il disait et répétait positivement, quoique d’une façon incohérente, que jamais Julie ne le reverrait en ce bas-monde…… qu’il s’en irait…… Là finissait l’épanchement rempli d’angoisses effroyables, mais il avait ajouté… — On frappe à ma porte !…… Qui peut venir à cette heure malgré mes ordres, à deux heures du matin ? J’y vais cependant……

— Évidemment, dit le vieux médecin, après une lecture attentive de ces écritures du mari de Julie, dont nous venons de faire un court résumé, la plus grande partie étant inintelligible, le pauvre homme était ivre, sa tête tournait, et c’est dans cette situation qu’il se rendit à la porte pour l’ouvrir. L’assassin dût, ajouta-t-il, lui apparaître comme un spectre, et, en bien peu de temps, le crime a dû être consommé.

Mais quel était le mobile du crime ? Pas le vol assurément, car rien n’était dérangé dans la maison, et le meurtrier n’a pas même, dans son trouble, songé à sortir par une fenêtre, en mettant la porte sous clef.

— Mystère ! dit le vieillard……

— Mystère horrible ! répéta le bon prêtre Que faire ?

— Avertir les autorités, dit le vieux médecin, sans perdre de temps. Tout ce qui précède, on le comprend, est tiré de la lettre du curé de XXX à celui de Sorel. Il ajoutait que l’autopsie avait été faite, que les dires du vieux médecin avaient été confirmés par l’examen interne, les désordres causés à l’intérieur répondant exactement aux marques de la strangulation à l’extérieur ; le mari de Julie était, d’après la science médicale, évidemment mort étranglé, et le coup de pistolet n’avait été que pour la forme et dans le but de faire croire à un suicide.

Le bon curé ajoutait que les obsèques avaient eu lieu tristement, et que la justice s’enquérait. Un étrange personnage qu’il décrivait soigneusement, avait été remarqué la veille du meurtre, le soir, au village, et était reparti le lendemain matin au point du jour, son court passage n’ayant pas de but reconnu. Les autorités allaient agir. En attendant le résultat, il avait cru bien faire en adressant, à part ces lugubres détails, une lettre pour l’information de la jeune femme. Cette lettre comportait que le mari de Julie était revenu seul et malade. Rien de plus, à part la forme sympathique. C’était la vérité ; ce n’était point toute la vérité, mais ça n’était pas un mensonge, et c’était surtout une charitable et sage inspiration.


XX

La lecture de la longue lettre que nous venons d’analyser avait confirmé le Grand Vicaire et le médecin, ce dernier surtout, dans la croyance qu’il y avait au fond, dans tout ce qu’ils avaient vu et entendu, un mystère d’amour.

Dans la description du sinistre personnage faite par le curé de XXX au Grand Vicaire, celui-ci avait reconnu la binette de son ex-ami le docteur……, de Sorel, nous disons ex-ami avec intention, car, à la surprise du curé, depuis le mariage de Julie, il avait tout à coup cessé et n’avait jamais repris ses visites jadis assidues au presbytère, bien que, le bon prêtre se l’affirmait à lui-même, il n’eût pas fourni le moindre prétexte à cette froideur soudaine entre deux compatriotes, deux coreligionnaires et deux hommes dont la liaison se resserrait davantage par une érudition mutuel-