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DE LA VIE RÉELLE.

À qui donc, ajoutons-le, n’est-il pas arrivé dans un temps de misère noire suivant une période de prospérité relative, ou au milieu d’autres dures épreuves, de revoir durant le sommeil l’image vivante d’un père, d’une mère, d’un protecteur, d’une épouse ou d’un époux, lui apparaître avec des paroles pleines de consolations et d’avis salutaires ! Eh, pourquoi ne pas attribuer cela à l’infinie bonté de Dieu ? Quelle autre explication pouvons-nons trouver à ces rapports des âmes et des esprits, à ces visions mystérieuses et qui se réalisent ?……

Quoi qu’il en soit de notre mysticisme, il n’en est pas moins vrai que l’affreuse vision de notre héroïne fut une réalité, ainsi que nous allons le raconter.


XIX

Plus d’un mois s’était écoulé et Julie n’avait pas de nouvelles de son mari qui, avait-elle dit au curé, devait venir la rejoindre à Sorel.

Cependant, en raison des événements que nous avons racontés et prenant en considération les lenteurs du transport de la malle, dûe tous les huit jours en temps ordinaire, mais irrégulière, à cette saison de l’année, on ne s’était pas alarmé plus que de raison au presbytère du manque de nouvelles du mari de Julie, resté, comme nous l’avons dit, à Québec.

Ce qui alarmait davantage le bon curé, était l’état de santé de Julie et ses mystérieuses défaillances physiques et morales. Après sa dernière syncope et lorsque le docteur lui eût donné les soins voulus, pendant que Julie reposait apparemment d’un sommeil réparateur, d’après le dire de Mathilde, le Grand Vicaire et le médecin, avaient allumé leur pipe et causaient anxieusement cherchant le mot de l’énigme.

On en était là et les douze coups de minuit venaient à peine de sonner, lorsqu’on entendit dans le calme de la nuit le bruit des sabots d’un cheval sur la terre gelée, un temps d’arrêt, et presque aussitôt trois coups au marteau en cuivre de la grande porte d’entrée du presbytère.

Le grand vicaire s’empressa de prendre l’une des deux bougies qu’il y avait sur la table, en disant au jeune médecin : « C’est pour vous ou pour moi, peut-être pour les deux, que l’on vient. Je vais ouvrir » ; et il descendit l’escalier d’un pas plus rapide que ne le font ordinairement les vieillards, ayant pour ainsi dire un mauvais pressentiment : Un malheur en amène un autre, marmotait l’excellent homme.

Quelle ne fut pas sa surprise, lorsqu’en ouvrant la porte, il aperçut, dans le clair-obscur que faisait sa bougie, une figure tout à fait étrangère et une physionomie tourmentée.

Sans pour ainsi dire en attendre l’invitation l’homme entra et dit nerveusement : « Pardon M. le curé… je suis pressé… Voici une lettre de M. le curé de… je suis venu exprès vous la porter et j’ai ordre d’attendre une réponse et de repartir au plus tôt possible ; » et il allait continuer lorsque le grand vicaire lui dit : Mais qu’y a-t-il que se passe-t-il donc chez vous… Vous allez lire la lettre, M. le curé, rétorqua le messager oh ! une épouvantable chose… tenez, le Dr… le mari de Mad. Julie qui est ici, a été durant la nuit de… (celle de la vision de Julie) trouvé mort chez lui… M. le curé vous explique cela… C’est effrayant rien que d’y penser… Reprenant son sang froid le curé lui dit : Eh bien ! mon ami, je vous offrirais avec plaisir l’hospi-