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DE LA VIE RÉELLE.

Quoi qu’il en soit, M. Morin revint d’Angleterre et plus tard M. Viger, sans résultat pratique. Des élections générales eurent lieu et le peuple, nous ne saurions trop le redire, qui ne se vendait pas alors et que conséquemment ses députés ne revendaient pas, choisit quatre-vingt députés réformistes contre huit tories.

Au nombre de ces députés tories fut nommé J. Pickel, un tory enragé, et c’est à l’occasion de cette élection dont notre héroïne fut spectatrice, que le drame que nous allons faire revivre eut lieu.

XVII

La population du susdit bourg de William Henry (Sorel) n’était pas comme aujourd’hui, composée, en ce temps-là, de canadiens-français presque exclusivement. C’est, comparativement, le contraire qui existait. Le bourg, bien que fondé primitivement et habité par des Français, était peu à peu, en esprit et en vérité, devenu anglais. Des casernes spacieuses y avaient été bâties et l’influence du militaire, en ce temps-là surtout, était énorme partout dans le Bas-Canada et se déteignait dans la haute société (nos belles Canadiennes-françaises d’alors pourraient le redire) de même que parmi le peuple.

Nombre de familles loyalistes avaient, après la révolution américaine, habité plusieurs charmants endroits bordant la rivière Chambly de même que Sorel, Berthier, etc., s’y étaient créé des relations avantageuses, et leurs enfants avaient prospéré, même en dehors du bourg de Sorel et au loin dans la campagne de Sorel, à plusieurs lieues à la ronde, comme on disait alors.

On a retrouvé, plus tard, les fils de ces loyalistes, fixés là, sur de superbes terres bien cultivées ; ils s’y étaient mariés avec des Canadiennes-françaises dont les enfants étaient devenus protestants.

Lors de l’élection en question, le bourg de William Henry avait l’honneur de compter plusieurs citoyens canadiens français, dont les pères avaient combattu les Bostonnais, alors exécrés. La population française de l’endroit descend surtout des soldats du fameux régiment de Carignan, qui s’établirent à Sorel et aux alentours, lesquels, après avoir dompté le cruel Iroquois, oublièrent la France en succombant aux charmes de la Canadienne…… Cette population est aujourd’hui considérablement répandue un peu partout et le nombre de familles portant le même nom est extraordinaire, tels que les Hus. les Lemoine, Péloquin, Latraverse, Cournoyer, etc. Mariés entre eux, ils ont fait, mentir les physiologistes qui prétendent que cela mène à l’abâtardissement physique et moral.

Au physique, on peut en répondre pour qui voit encore aujourd’hui ces hommes grands, robustes pêcheurs et chasseurs, voyageurs au poignet d’acier, aux mains de fer, et ajoutons, au cœur généreux, chaud, passionné, mais à l’esprit étonnamment ouvert au préjugé de toutes espèces, exploitable et surtout exploité à leur grand désavantage, surtout aux préjugés contre l’instruction.

Et puis ces descendants de braves soldats autocrates ont en quelque sorte transmis avec leur sang de, génération en génération, les préjugés monarchiques sans pouvoir s’en rendre bien compte, cela faisant partie des traditions de famille.

Les tories anglais, esclaves du family compact d’alors, exploitaient toutes ces choses, étant généralement instruits comparativement aux Franco-