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DRAMES

Quelques citoyens de Sorel apprenant cela, se cotisèrent spontanément et on envoya à Berthier quelques provisions.

Grâce au zèle charitable de quelques dames et messieurs, ces secours purent être augmentés. Le lendemain le nom de la Cie Richelieu figurait déjà en tête de l’une des listes de souscription pour 50 $, et celui de l’hon. D. M. Armstrong pour 80 $. Malgré son âge avancé, n’écoutant que les inspirations de son cœur généreux, le Capt. G. L. Armstrong avait engagé une chaloupe et s’était empressé de se rendre, dès lundi, à Berthier, pour porter des secours aux malheureux mondés et quelques autres citoyens avaient suivi ce noble exemple.

Mardi matin, la Cie du Richelieu mit un de ses vapeurs au service des citoyens de Sorel qui s’empressèrent de se rendre, en assez grand nombre, à Berthier avec encore des provisions : — pauvres et riches les reçurent avec reconnaissance, car tous manquaient absolument de pain. Le village de Berthier offrait réellement un triste aspect. Les maisons étaient, partout, à moitié remplies d’eau ; on voyageait en chaloupe dans toutes les rues et l’eau atteignait les balustres de l’église.

Quelques bâtisses avaient été endommagées par les glaces, mais heureusement les dommages étaient peu considérables. Les inconvénients résultant de l’inondation étaient bien plus grands. Les magasins étaient fermés et toutes les affaires complètement paralysées, depuis plusieurs jours. Malgré tout, nos amis de Berthier ne paraissaient pas trop abattus et la gaieté française qui est le propre de notre caractère national, dominait l’inquiétude et les épreuves du moment. Et plus heureusement encore, tous nos amis de Berthier paraissaient jouir d’une excellente santé en dépit de tous les contretemps qu’ils avaient subis et qu’il leur restait à subir…

Le même jour, à deux heures p. m., le même vapeur, ayant à son bord un grand nombre de citoyens et des provisions en quantité, quittait le port de Sorel pour porter secours aux pauvres inondés du « Chenal du Moine » et des Îles de Sorel. Là un plus triste spectacle nous attendait. D’aussi loin que le regard pouvait porter, on ne voyait que de l’eau. Les pauvres familles avaient abandonné leurs demeures où il n’y avait plus ni feu ni pain, et s’étaient rendues chez les plus aisées qui les avaient reçus à cœur ouvert. Dans certaines maisons, on comptait jusqu’à soixante personnes. Ces pauvres gens étaient montés au grenier et attendaient, comme l’on dit, la providence. Elle ne leur fit pas défaut, car le Rév. M. Millier, curé de Sorel, et deux bonnes Sœurs de Charité étaient déjà rendus lorsque le vapeur arriva. On distribua largement des provisions aux nécessiteux, et quelques bonnes paroles de sympathie et d’encouragement contribuèrent encore plus à relever le moral quelque peu abattu de ces pauvres gens.

L’Île de Grâce avait disparu sous l’eau ; on mesurait jusqu’à dix pieds d’eau en certains endroits. On peut juger si les maisons et les bâtiments étaient submergés. Le soleil dardait parfois des rayons ardents ; des nuages s’amoncelaient à l’horizon et ce n’était pas sans inquiétude que l’on songeait au lendemain, et l’eau montait, montait toujours… comme dirait Victor Hugo.

Mercredi, vers midi, le ciel s’assombrissait ; à une heure, un habitant des Îles, vint demander au Président de la Compagnie du Richelieu, s’il voulait bien permettre à un des vapeurs d’aller aux Îles, pour ramener quelques familles et transporter des animaux, la position n’étant plus tenable. M. Sincennes accueillit favorablement cette demande, mais comme