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« Voyez ces dames qui vont traverser la rue au moment où vous arrivez en voiture. Vous arrêtez votre cheval, elles s’arrêtent, font quelques pas en arrière et vous regardent. Vous touchez votre cheval pour aller plus vite et pour leur laisser le chemin libre, et les voilà qui en font autant : elles sont presque sous les pieds du cheval, elles jettent des petits cris effarouchés, et se rejettent de nouveau en arrière. Le lendemain et les jours suivants, elles recommenceront le même jeu, et presque toujours au même endroit. Les femmes manquent d’initiative et ne savent quel parti prendre en face d’un danger imminent. »

Évidemment, l’auteur de ce petit chef-d’œuvre littéraire n’a pas vécu dans notre grande ville.

Il aurait vu que l’option de traverser ou non les rues sans danger, la liberté d’avancer ou de reculer, ne nous sont nullement concédées, mais que notre vie, en ces moments critiques, est absolument à la merci des cochers de place.

Et ils n’ont pas l’âme bien généreuse, car pour peu qu’elle insistât pour passer de l’autre côté, ils écraseraient sans pitié la téméraire.

À Montréal, il n’y a pas d’alternative. Il ne s’agit pas de marcher ou de s’arrêter, de faire quelques pas en arrière, de laisser aller la voiture si on le veut bien, c’est la voiture qui franchit l’espace quand même.

D’ailleurs, l’on y est tellement habitué, que, depuis longtemps, c’est chose reçue, acceptée, sans que personne songe à se rebiffer.

Vous voyez, aux coins des rues, de petits groupes de dames attendant que les voitures, les omnibus, les camions s’éloignent et, quand tous ils ont défilé, les uns au grand trot, les autres avec une lenteur qui fait bouillir d’impatience, on peut se décider à parcourir l’espace qui sépare un trottoir de l’autre. Il reste sage pourtant