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billard, on avançait ; le conducteur à pied conduisait le deuil.

À chaque minute, l’on était arrêté.

— Allons, disaient quelques bonnes âmes, il faut donner aux chevaux une petite chance !

Comme j’étais anxieuse de savoir ce que l’on entendait par cette « petite chance, » je penchai la tête pour regarder au-dehors et je vis cinq ou six hommes qui poussaient le tramway en arrière.

Malheureusement, ils ne pouvaient le pousser tout le long du chemin ; en plein milieu de la côte Saint-Denis, les chevaux s’arrêtèrent net, et bien des femmes commencèrent à pousser des petits cris d’effroi. En effet, s’il n’y avait pas eu tant de terre et de cailloux pour entraver notre descente, nous roulions jusqu’en bas et Dieu sait dans quel état nous serions arrivés de l’autre côté.

On a beau avoir la conscience pure, personne ne songe, en prenant place, à faire le grand voyage, même pour la modique somme de cinq sous.

Moi, surtout, qui, depuis ce que m’en a dit mon rédacteur en chef, ai constamment devant les yeux, le sort réservé dans l’autre monde, aux personnes qui s’occupent de journalisme, « dans la sixième chaudière à gauche, » je tremblais de tous mes membres.

Nous en fumes quittes pour la peur, et en arrivant à destination, nous avons pu constater qu’il y avait juste une heure et quart que nous avions laissé les coins des rues Saint-Denis et Craig.

Pour revenir, ce fut une autre histoire. Un des chevaux s’était abattu près de la pharmacie Baridon. Au lieu de l’aider à se relever, on l’a roué de coups, et le cœur me fait encore mal quand je pense aux efforts désespérés du pauvre quadrupède pour se remettre sur ses jambes et retombant lourdement sur l’asphalte glacé, sans y parvenir.