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les ravages du temps n’aient pu le faire disparaître complètement et que ses pierres crient aujourd’hui encore bien haut sa valeur et sa force.

On ne saurait peindre les divers sentiments qui agitent le voyageur sur les ruines de Louisbourg. Les restes des habitations, les bastions démantelés, les casemates béantes, racontent, en un langage touchant, leurs gloires passées et leur misère actuelle. C’est en des lieux comme ceux-là qu’on sent se réveiller, plus chaud et plus patriote encore, le sang français qui coule dans nos veines.

Louisbourg proprement dit, the old town, comme on l’appelle pour la distinguer du village de ce nom, bâti tout près de là, ne compte plus que deux ou trois maisonnettes de pêcheurs s’élevant ça et là le long de la grève.

Un silence profond semble y régner toujours, que seule vient troubler la grande voix de l’océan, chantant sur ses bords, avec un bruit de sanglots, son éternelle Iliade.

Ce que cette scène a de désolation suprême et de majestueuse beauté, jamais la plume ne saura le rendre. En écrivant ces lignes, l’image de ce jour d’août, mélancolisant et grave, se présente devant moi et me donne comme la sensation douloureuse qui s’empare de l’âme en visitant un cimetière.

Mgr l’archevêque d’Halifax et plusieurs autres prêtres faisaient, en même temps que moi, ce pèlerinage. Sa Grandeur, avec une bienveillance dont je lui saurai toujours gré, a bien voulu que je fisse partie de sa suite, afin de bénéficier des explications qu’un guide nous donnait, le plan à la main :

Ici, la citadelle, là, le bastion du roi, puis celui de la reine, la forteresse, les batteries, les tours, les casemates, la maison du gouverneur, ses jardins, l’église, l’hôpital, le passage souterrain, le pont-levis…

Et nous suivions en silence, les pieds se heurtant aux pierres blanchies qui jonchaient le sol, de station en station, comme en un chemin de la croix…