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Et quel beau concert parfois, si nous prêtons l’oreille !

Quand on se sent heureux, heureux jusqu’à l’infini, heureux jusqu’à la souffrance, — puisque, chose bizarre, c’est l’excès même du bonheur qui fait mal, — ces voix deviennent une musique qui enivre.

Ces moments-là sont rares dans la vie, rares pour quelques-uns du moins, car nous sommes si exigeants, il nous faut tant d’éléments divers pour constituer un bonheur qui vaille la peine qu’on s’en occupe !

C’est, on le dirait, un des grands malheurs de la civilisation, que le développement de toutes les ressources de l’intelligence nous rend plus insatiables, et, partant, plus assoiffés de bonheur, plus dédaigneux de cette légère poussière d’or, jetée de temps en temps à travers le gravier de notre route.

Et cependant, si elle était recueillie avec autant de parcimonie que l’avare en met à conserver son argent, quel joli trésor nous aurions amassé !

Mais nous marchons toujours, négligeant les paillettes pour atteindre la mine, et la vie s’écoule, fiévreuse, inquiète, se préoccupant sans cesse de ce qu’apportera l’avenir, sans se soucier des dons du moment.

Le bonheur le plus complet et le plus durable se trouve là où on ne songerait pas à l’aller chercher. Ce ne sera pas chez le riche, pas même dans cette médiocrité tant vantée des anciens, mais chez le pauvre dépourvu de tout, de fortune comme d’ambition.

Si peu de choses lui suffit à lui. Que lui importe le souci du lendemain, pourvu qu’il morde avec appétit au pain bis que ses labeurs du jour lui ont gagné ?

J’en ai vu un exemple frappant, un jour de la semaine dernière, que je remontais, en musant un peu, la grande fourmilière de la rue St-Laurent.

J’aperçus, venant au-devant de moi, une petite procession, que conduisaient deux nouveaux mariés.

Tout de suite, on remarquait qu’ils étaient pauvres : ses habits de fête à lui étaient si râpés, sa toilette à elle si mesquine !