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manière la plus honnête, que vous devez renoncer à toute autre prétention.

Et vous écoutez avec votre meilleur sourire, en pensant, pour l’excuser, que ses intentions sont bonnes, bien que la forme en soit gauche, et vous cherchez à être reconnaissante de son appréciation ; mais, tout au fond, une petite douleur fine et aiguë vient de vous mordre au cœur ; pendant quelques instants, que ne donneriez-vous pas pour posséder les charmes extérieurs de ces « jolies coquettes » dont on vient de vous parler….

Nous voilà bien loin de madame Langtry. J’avais pourtant à vous raconter plusieurs détails intéressants sur son compte, et qui auraient au moins l’avantage d’être inédits, mais cette dissertation sur la beauté m’a entraînée trop loin, et c’est assez causé pour aujourd’hui.


Lundi, 24 juin.

Les poètes sont des êtres fortunés, ils peuvent toujours chanter ce qui leur vient à l’âme et au cœur.

Nous, pauvres prosateurs, nous faisons aussi nos rêves, et ils nous semblent si beaux, si doux et si tendres, qu’on voudrait les fixer sur le papier pour en conserver éternellement le souvenir.

Nous prenons alors la plume pour donner à ces rêves une forme, une couleur. C’est comme si vous touchiez à une bulle de savon. Tout s’évanouit, on ne retrouve presque plus rien des sensations qui nous agitaient quelques minutes auparavant, et nous traînons notre plume, mécontents de notre œuvre, mécontents de nous-mêmes.

Que ne donnerait-on pas pour posséder la faculté d’exprimer aussi bien que de ressentir, et combien d’écrivains qui se plaignent de leur impuissance !

La poésie est le langage qui se prête le mieux à toutes les envolées de l’imagination ; le rythme harmonieux, la cadence sonore du vers, semblent comme l’écho de toutes ces voix intérieures qui chantent au dedans de nous.