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— Que de sagesse dans une aussi jeune tête ! Cela m’enhardit à vous demander un sacrifice, bien que nous nous rencontrions pour la première fois et que je n’aie aucun titre à votre dévouement. Ce soir, pour votre premier bal, je serai assez cruel pour vous prier de consacrer cette danse à causer avec moi, au lieu d’aller tourbillonner gaiement, comme j’en vois le désir dans vos yeux.

— Dans mes yeux ? quels indiscrets ! Ils disent tant de choses que, pour les punir, je les emprisonnerai sous des lunettes. Il est vrai que j’aime la danse, mais j’aime autant la causerie. D’ailleurs, je me sens un peu fatiguée et j’ai besoin de quelques instants de repos.

Il lui offrit son bras, et ils gagnèrent tous deux renfoncement d’une baie, qu’une portière japonaise, de bambou et de verroterie, séparait des grands salons. Cela formait un petit coin invitant et charmant.

— Prenez ce fauteuil, dit-il, moi, celui-ci. Dieu soit loué, il n’y a de place que pour nous deux. Et maintenant parlez-moi.

— Je croyais que vous deviez tenir seul toute la conversation, dit-elle, en découvrant une superbe rangée de dents fines et blanches. Vous m’avez attirée ici sous un faux prétexte, alors.

— Non pas. Nous allons faire un duo, tout comme à votre piano, mademoiselle. Je vais vous raconter mes impressions, bien qu’à mon âge elles soient un peu vieillies, un peu démodées, et à votre tour vous me ferez part des vôtres.

— Oh ! ce sera très facile, pourvu que vous ne me regardiez pas trop, car vous êtes intimidant, savez-vous, avec votre air sévère. Tout à l’heure, au piano, quand j’ai surpris votre regard, les mots de l’Ave Maria de Gounod sont partis de ma mémoire, et j’ai dû le finir en latin. J’étais si confuse !

— On vous comprend dans toutes les langues, vous parlez comme les anges.