Page:Barry - Chroniques du lundi, 1900.djvu/233

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Lundi, 6 juillet.

Mon cœur m’appelle loin d’ici,
Bien loin, bien loin…

Depuis des jours déjà, ce fragment d’une sérénade de Schubert me bourdonne dans la tête, me revient sur les lèvres, me hante constamment.

En vain je veux l’oublier, un attrait irrésistible m’y ramène, et je ne saurais lutter plus longtemps.

Il faut partir. Partir ? non, ce n’est pas un départ, c’est une arrivée joyeuse là-bas, là-bas, au pays du grand fleuve et des vastes désirs.

Ce que cette perspective me réjouit par avance, jamais je ne pourrais assez le dire.

À tout instant, dans mon imagination, je refais le voyage avec un plaisir dont le renouvellement, au lieu de la diminuer, en augmente l’intensité.

Je ferme les yeux, et je vois les quais à l’heure où le spacieux et confortable bateau de la Compagnie du Richelieu n’attend plus que le signal de son capitaine, pour transportera cargaison humaine en d’autres ports.

J’entends le bruit de la foule, les voitures, le brouhaha, le va-et-vient, les demandes sans réponses de cette heure d’excitation.

Puis on met le pied sur la passerelle, on monte les escaliers aux marches recouvertes de cuivre luisant, on traverse les grands salons où les tables sont surchargées de curiosités indiennes, les fauteuils couverts de manteaux et de sacs de voyage, les bébés couchés sur les divans, pour se diriger sur le pont, respirer librement et jouir de la douceur du voyage.

Bientôt la ville aux grandes tours, aux lourds monuments, la ville de pierre, de bitume poussiéreux fuit derrière nous. Adieu ! Ta chaleur sénégalienne a assoiffé nos âmes de fraîcheur et de verdure ; nous reviendrons