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lence discret, jusqu’au jour où l’on est venu m’arracher ces chères confidences, piller, saccager ces reliques que je conservais avec un soin jaloux. En vain ai-je essayé de lutter, j’ai vu partir mon âme, avec le déchirement des adieux éternels, et depuis ce temps, mon cœur ne connaît plus que le vide sans nom de l’oubli. Je cherche partout mon âme sans pouvoir la retrouver…

Devant une douleur si poignante tous les autres meubles s’émurent plus profondément encore. Les bibelots sur les étagères, les consoles soupirèrent dans leur langage le chagrin de la séparation.

Une petite bergère en biscuit, avec son grand chapeau coquet et sa houlette gentille, faisait surtout peine à voir :

— Ah ! si l’on nous sépare, dit-elle à son berger éternellement condamné à jouer du chalumeau, vois-tu, Doris, j’aime mieux mourir.

Seul, le piano ne disait rien, muet et lugubre, il s’enfonçait plus avant dans l’encoignure sombre. Quelles mains désormais caresseraient ses notes d’ivoire ? Qui éveillerait dans son âme les échos des vieux airs qu’on aimait autrefois ?… Et trop tendue une corde vibrante se cassa brusquement et remplit l’air d’un long et mélodieux gémissement, résonnant tristement dans la mélancolisante atmosphère du grand appartement.

— Ah ! pauvre moi ! dit encore une petite chaise dorée, je tremble de connaître mes nouveaux maîtres. Je suis si petite, si fragile, qu’un souffle même ternit mes ors. Ah ! dites donc, le monde est-il si méchant ?

À cette question, tous les meubles se regardèrent sans oser répondre.

Une voix enrouée vint rompre ce silence. C’était un antique coucou, à qui l’on prêtait pour le moins un siècle, qui, dans le bouleversement du moment précédant la débâcle, avait été transporté, on ne sait trop comment, du grand corridor au salon de famille.

— Si le monde est méchant ! dit-il avec un ricanement