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la plupart du temps, qu’on ne s’y trompe pas, la différence n’existe que dans le nombre des écus et non dans la naissance et la bonne éducation.

Quoiqu’il en soit, c’est un drôle de monde que le nôtre, où ceux qui ne sont pas opprimés deviennent oppresseurs, où il ne semble y avoir que victimes et bourreaux.

Car, il arrive, et plus souvent qu’on ne le pense, — tant il est vrai de dire que toute médaille a son revers, — qu’au lieu d’avoir à plaindre les commis derrière leur comptoir, c’est nous qui sommes à leur merci.

Je n’ai jamais compris qu’on puisse éprouver tant de plaisir à aller faire des emplettes ; il faut que ce soit dans d’autres conditions que celles que nous subissons d’ordinaire.

Quand on n’a qu’une paire de gants ou un bout de ruban à s’acheter, on conçoit que la besogne soit assez agréable, mais quand il s’agit d’un achat sérieux, c’est autre chose.

D’abord, dès que la porte s’est fermée sur vous, vous êtes accaparée, monopolisée, et on ne vous laisse de repos que lorsque vous êtes sur le trottoir. On empile devant vous arguments et étoffes ; on vous assure que c’est ce qu’il y a de « plus nouveau, » « une marchandise importée que l’on vient de recevoir, » et mille autres phrases de commande, qui constituent ce que l’on peut appeler : l’argot de comptoir.

C’est en vain que vous essayez de vous en défendre, de prétexter telle ou telle raison pour refuser poliment, — car on n’aime pas à brusquer les gens, — rien n’y fait.

— Vous n’aimez pas la couleur ? En voici une autre.

— C’est la qualité qui ne convient pas ? Qu’à cela ne tienne, on vous en donnera de meilleure. — C’est trop dispendieux ? On vous en montrera « dans les bons marchés. » Il arrive souvent que désolée, ennuyée d’avoir causé tant de dérangements, ou éblouie par le flux de paroles,