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Je ne sais pourquoi on fait de cette occupation un amusement, une distraction primant toutes les autres. S’il faut en croire quelques-uns, les femmes trouvent un plaisir inouï à faire le tour des magasins, à faire étaler devant elles les dernières nouveautés, sans acheter pour un sou vaillant.

Que de sarcasmes, que d’histoires satiriques sur ces dames qui tiennent les commis sur les dents, qui font sans sourciller vider devant elles le contenu des tablettes, bouleversant, froissant dentelles, rubans, et qui repartent ensuite recommencer ailleurs le même manège.

Alors, on s’apitoie sur le sort de ces pauvres commis qui s’épuisent pour plaire à leur capricieuse clientèle, qui déplient les lourdes pièces, n’épargnant ni les discours persuasifs, ni les plus engageantes paroles pour faire apprécier leurs marchandises, et tout cela en vain.

Sans doute, on a raison, en quelques circonstances du moins ; mainte acheteuse ne prend pas assez en considération les peines et les fatigues de ceux qui la servent.

Il fait souvent peine de lire, sur les figures sans fraîcheur et dans le large cercle bistré qui entoure les yeux des demoiselles de comptoir, une si profonde lassitude.

— Je suis tellement fatiguée, que mes jambes ont peine à me supporter, entendais-je dire un jour par l’une d’elles à sa compagne.

Et malgré tout, il fallait aller ici et là, servir d’automate, supporter le plus gracieusement possible les rebuffades des clientes et souffrir son martyre le sourire aux lèvres, jusqu’aux dernières heures du soir.

Je ne crains pas de le dire, il faut être bien mal apprise, n’avoir que peu de sentiments nobles dans le cœur, sentir la parvenue d’une lieue, pour rudoyer ses inférieurs comme le fait quelque soi-disant dame.

Il y en a trop malheureusement qui croient que c’est le suprême de l’élégance et du bon ton que de trouver à redire de tout et sur tout, de faire constamment sentir à ses subalternes leur infériorité dans l’échelle sociale. Et