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été composé pour une fête ; son rhythme est joyeux, enlevé, mais aujourd’hui l’instrument est usé, le bras qui le tourne plus usé encore. Les sons arrivent traînants, alanguis, et, ces quelques notes perçantes qui s’élèvent encore, ne sont plus que les plaintes d’une lamentable désolation.

Oh ! je vous le jure, le cœur se serre dans la poitrine, et, pour un rien, vous voudriez emporter ces misérables loques, cette vieillesse malheureuse, cette musique pitoyable, tout charger sur vos épaules pour déposer votre fardeau dans quelque coin d’une de ces grandes cuisines de campagne, par exemple, où l’hospitalité est si généreuse, le feu si clair et le large chanteau du pain cuit sous l’âtre, si tendre et si frais…

Le lendemain, vous le retrouvez ailleurs, dans une autre rue, tantôt dans l’est, tantôt dans l’ouest, sans qu’un établissement charitable soit là pour ouvrir ses portes, recueillir cette misère et lui assurer une protection efficace.

Et il restera donc à la merci des éléments, en butte aux espiègleries des gamins, livré à cette foule indifférente qui lui jette son aumône le plus souvent comme on jette un os à un chien pour que ses cris ne nous importunent plus.

Que voulez-vous qu’il fasse ? Sans ce sou que la pitié ou l’égoïsme lui donne, il n’aura rien pour apaiser cette faim qui le ronge, rien pour ceux qui l’attendent anxieux dans son pauvre réduit ; c’est pourquoi, tous les jours, il reviendra jusqu’à ce que la mort l’enlève à cette existence de paria.

Quand cette maison de Refuge dont on parle sera fondée, j’y voudrais voir ce pauvre cul-de-jatte que l’on rencontre dans les rues St. Jacques ou St. Laurent et qui roule des yeux si pitoyables en vous tendant la main ; j’y voudrais voir encore le triste aveugle, qui, adossé contre l’édifice de la New-York Life, offre au public sa sébile de ferblanc.