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Conspiration des Sophistes

Chefs dans leurs opinions philosophiques.de réunir quatre hommes moins propres à s’accorder sur une pareille entreprise.

Voltaire eût bien voulu être Déiste ; il le parut long-temps : ses erreurs l’entraînèrent vers le Spinosisme ; il finit par ne savoir quel parti prendre. Ses remords, si on peut appeler ainsi des doutes et des inquiétudes sans repentir, le tourmentèrent jusque dans ses dernières années. Il se tourna tantôt vers d’Alembert, tantôt vers Frédéric, ni l’un ni l’autre ne purent le fixer. Il étoit presque octogénaire, et se trouvoit encore réduit à exprimer ainsi ses incertitudes : « Tout ce qui nous environne est l’empire du doute, et le doute est un état désagréable. Y a-t-il un Dieu tel qu’on le dit, une ame telle qu’on l’imagine, des relations telles qu’on les établit ? Y a-t-il quelque chose à espérer après le moment de la vie ? Gilimer dépouillé de ses états, avoit-il raison de se mettre à rire quand on le présenta devant Justinien ? Et Caton avoit-il raison de se tuer de peur de voir César ? La gloire n’est-elle qu’une illusion ? Faut-il que Mustapha dans la mollesse de son Harem, faisant toutes les sottises possibles, ignorant, orgueilleux et battu, soit plus heureux s’il digère, qu’un philosophe qui ne digère pas ? Tous les êtres sont-ils égaux devant le grand Être qui anime la Nature ? En ce cas l’ame de Ravaillac seroit-elle égale à celle d’Henri IV ? ou ni l’un ni l’autre n’auroit-il d’ame ? Que le héros philosophe débrouille tout cela ; pour moi, je n’y entends rien. » (Lettre 179, 12 Octobre 1770.)

D’Alembert et Frédéric pressÉs alternativement par ces questions, y répondoient, chacun à leur manière. Le premier ne pouvant se fixer lui-même, confesse franchement qu’il ne lui a pas été donné de savoir y répondre. « Je vous avoue, dit-il, que sur l’existence de Dieu, l’auteur du système de la nature me paroît trop ferme et trop