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pas pour but, comme ses devancières, soit de changer les conditions du pouvoir, soit d’arracher a une classe privilégiée des droits dont elle aurait abusé, soit de rejeter une domination étrangère ; ceux qui la font paraissent céder à une force aveugle et fatale, force qui se déguise d’abord sous le nom de réforme, puis sous celui de république ; et qui, rejetant bientôt ces appellations menteuses, paraît avec son véritable caractère, son vrai titre, celui de : Révolution sociale, c’est-à-dire de tentative de destruction et de rénovation de la société entière.

Quelque chose d’analogue s’était passé dans les guerres serviles de Rome ou dans les Jacqueries du moyen âge ; mais alors, les esclaves ou les paysans révoltés ne poursuivaient pas une idée, ils n’affichaient aucune théorie, ils cédaient à un accès de désespoir, à une sorte de réaction automatique pareille à celle que l’excès de la douleur produit dans le corps humain ; tandis qu’en 1848 la révolution a été plutôt une débauche d’idées qu’une explosion de misère et de souffrance ; aussi cette révolution s’est-elle montrée plus raisonneuse, plus théorique, qu’agissante et pratique. Son résultat le plus réel a été de mettre à nu les fondements de la société, nous ne disons pas seulement française, mais humaine.

C’est ce qui explique pourquoi, bien que moins violente que les révolutions qui l’ont précédée, elle a laissé cependant après elle une impression peut-être plus universelle et plus profonde : la société française s’est trouvée après cette révolution dans la disposition où seraient les habitants d’une maison qui, après s’être endormis la veille en pleine sécurité, verraient avec terreur, à leur réveil, que, par quelque convulsion subite du sol, ils restent suspendus sur un abîme.

Certes, un tel cataclysme, alors qu’il n’aurait été