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la force n’eût été concentrée sur un seul point ; si, par exemple, on eût pu prendre son point d’appui sur des institutions provinciales fortes et résistantes, il est plus que probable que le parti parlementaire eût fait prévaloir son esprit politique sur les passions de la rue et eût arrêté la révolution à l’abdication et à la régence. Le même phénomène s’est reproduit en 1848, avec des circonstances et par des causes presque identiques, terrible avertissement pour les gouvernements et pour les partis. La prévoyance est plus nécessaire en France qu’en tout autre pays, parce que le danger y est plus subit et plus irrésistible entre l’ébranlement et la chute, il y a peine l’intervalle de quelques jours une fois hors des Tuileries, les gouvernements n’ont plus rien où se prendre et tombent fatalement dans l’abîme, victimes de cette centralisation qui, aux jours de leur puissance, leur paraissait si commode et si précieuse.

Le gouvernement de Louis-Philippe ne fut guère plus prévoyant, ni plus sage, que celui de Charles X : lui aussi trouva fort doux et fort commode le régime administratif de l’Empire il n’en conserva pas seulement l’organisation unitaire, la centralisation absolue : il trouva, sans doute, très-politique d’évoquer, de glorifier les souvenirs de cette époque, de se faire le héraut, le restaurateur de la gloire impériale. Il prenait pour de l’habileté ce qui n’était qu’une bien haute imprudence. Il succomba dans ce jeu dangereux. Que pouvaient, en effet, la presse, la tribune, les élections, contre la toute-puissante centralisation impériale, mise au service du chef de l’État ? produire l’irritation de la lutte et de l’impuissance, sans pouvoir opérer une seule réforme. Cette centralisation dans les mains de Napoléon avait servi d’instrument à l’essai de la monarchie universelle ; elle ne pouvait servir dans celles de Louis-Philippe qu’à neutraliser le jeu sérieux, sin-