Page:Barrot - Mémoires posthumes, tome 2.djvu/20

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cales, la révolution de 1789 eût suivi un cours tout différent ; elle eût été beaucoup moins radicale et se fût beaucoup plus rapprochée des caractères d’une grande et utile réforme. Par une expiation toute providentielle, la monarchie a subi le châtiment de sa politique égoïste et imprévoyante ; elle avait mis la nation hors du fait politique et pratique de son gouvernement, et c’est l’idée qui, déchaînée sans règle et sans expérience, s’est chargée de l’en punir.

Après la fatigue et l’épuisement de la guerre civile de 1791 à 1800, après l’éclatant suicide de la dictature militaire de Napoléon, la France s’est trouvée, en 1814, replacée en face de cette même monarchie et à son point de départ de 1789.

Mais la charrue révolutionnaire et impériale avait de plus en plus labouré et nivelé notre société. Ces débris qui auraient pu être encore utilisés en 1789, n’existaient même plus en 1814 ; que faire ? Charles X, précédant son frère, lors de leur rentrée en France, prononça un mot fort applaudi par les courtisans du jour et même par la multitude, trop habituée à prendre les choses par leur côté sentimental. Il n’y a qu’un Français de plus en France, aurait dit ce prince, en mettant le pied sur le seuil des Tuileries. Cela voulait dire : la monarchie trouve le lit de l’empire fort commode et elle va tout bonnement s’y coucher.

Cela n’était, cependant, ni aussi commode, ni aussi sûr qu’on pouvait le croire au premier abord : pour vivre au moins quelque temps et avec quelque sécurité dans cette société française, toute individualisée, il fallait deux choses que l’empire avait pu réaliser et que la monarchie des Bourbons ne pouvait retrouver : donner un aliment incessant aux imaginations, les distraire perpétuellement par une mise en scène éclatante : et quelle autre diversion pouvait remplacer, surtout pour une nation naturellement guerrière, celle de la guerre ?