comme toute tradition, à faire le vide entre le présent et le passé et, perdant ainsi pied, à se lancer témérairement dans le monde dangereux des utopies : la première de ces écoles pourrait se personnifier dans Montesquieu, la seconde, dans Jean-Jacques Rousseau ; l’évangile de l’une est l’Esprit des Lois, celui de la seconde est le Contrat social. C’est malheureusement cette dernière qui prévalut en 1789, et qui, peut-être, domine encore aujourd’hui ; de là les organisations a priori et les constitutions tout d’une pièce de là, cette prétention à la logique absolue qui, à partir de 1789, a été invariablement suivie, toutes les fois que la nation a eu à régler ses institutions. Nous en subissons les tristes conséquences.
Certes, je ne rattacherai pas cette tendance, comme l’ont fait d’autres publicistes, à une certaine disposition organique de notre nation je n’en ferai pas une question de tempérament. Je sais tout ce qu’on a dit d’ingénieux sur ce sujet : pour moi, je ne crois pas qu’il y ait des peuples qui naissent avec le goût exclusif de la théorie et de la généralisation ; qui par une légèreté organique de caractère, combinée avec une certaine hardiesse de pensée, aient en quelque sorte reçu de la Providence cette dangereuse mission de remuer toutes les idées, de faire pour les autres peuples toutes les expériences, et qui soient ainsi voués il tout entreprendre, sans jamais rien achever, semblables en cela à ces pionniers du nouveau monde qui abandonnent la terre qu’ils viennent à peine de défricher, et qui, poussant toujours en avant dans les profondeurs du désert, se chargent de tous les hasards, de tous les périls de l’inconnu et laissent à ceux qui viennent après eux les bénéfices des travaux achevés et de l’expérience acquise.
Non, la France, pas plus que les autres nations, n’est organisée de manière à poursuivre indéfiniment les