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éclatante de cette vérité. Ce ne sera pas une digression tout à fait inutile, car elle servira à éclairer l’époque que nous avons entrepris de retracer.

Si ce fait de la centralisation exagérée du pouvoir eut été plus étudié dans ses causes et dans ses conséquences inévitables, qui sait combien de révolutions eussent été épargnées à notre pays, et si, encore aujourd’hui, il se formait enfin une conviction générale en France sur la nécessité d’y remédier, qui sait combien de cruelles épreuves pourraient être prévenues dans l’avenir.

D’abord, et pour le passé, l’Assemblée Constituante (la grande) n’eût pas fait tant d’efforts, dépensé tant de talents, pour continuer et consommer ce travail de centralisation poursuivi depuis si longtemps par la monarchie. Elle voulait sincèrement fonder un gouvernement libre ; elle avait en elle assez de lumières et même de vertus pour y réussir : comment a-t-elle eu la malheureuse pensée d’y procéder par les mêmes moyens que le pouvoir absolu avait employés avec succès pour tout absorber en France ? comment s’est-elle attaquée avec tant d’énergie aux derniers débris de ces forces vives et réelles qui existaient encore, quoique bien affaiblies, dans certaines institutions éminemment libérales de la vieille monarchie ; — les états provinciaux, par exemple ?

C’est qu’il n’y a que deux voies à suivre dans la politique : l’une de bon sens et toute pratique, qui consiste à procéder du connu à l’inconnu, à prendre dans les faits existants le bien, se bornant à en écarter le mal, à agir enfin comme la nature qui ne brusque rien, mais où tout se développe par des transitions souvent insaisissables ; l’autre, qui consiste à afficher un profond mépris pour les faits, à bâtir à nouveau sans rien garder de l’édifice existant, détruisant le bon comme le mauvais ; à rejeter toute transition