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qui éclatent ; lorsqu’elles sont seulement isolées l’une de autre, c’est l’impuissance. Aussi la politique en quelque sorte forcée de tout despotisme sera-t-elle de tenir ces deux classes divisées, d’alimenter leurs peurs ou leurs colères, de même que l’effort persévérant de tout gouvernement libéral, et tant soit peu prévoyant, devra être de tenir ces deux classes réunies par des liens communs d’intérêts, de sympathie et de patriotisme, de les fondre autant que possible de manière à ce que leurs diversités ne tendent qu’a exciter entre elles une salutaire émulation, mais n’éclatent jamais en ces conflits haineux dont nous avons été les témoins et les victimes.

Le tort du gouvernement de Louis-Philippe avait été de séparer ces deux classes, de leur créer des intérêts différents, d’en faire comme deux nations distinctes, ayant chacune sa sphère d’action, sa vie à part ; on ne sait pas tout le mal qu’a fait le mot de pays légal prononcé par les ministres et adopté par tous leurs agents, — et surtout la séparation que ce mot impliquait. Mais le malheur, on pourrait aller jusqu’à dire le crime de la Révolution de 1848, a été de donner à cet antagonisme un drapeau, une organisation, une tradition et de sanglants souvenirs. Sous le règne de Louis-Philippe c’était un germe qui se développait lentement et dans l’ombre ; par la Révolution de 1848, c’est devenu une plaie toujours béante qui affecte le principe vital de notre société. On a voulu y appliquer le remède désespéré du despotisme et cependant le mal ne peut se guérir que par le temps, par la sagesse, par une charité éclairée et surtout par la liberté, la liberté, qui, seule, en créant des droits communs, une opinion commune, peut fondre ensemble ceux-là mêmes que divisent les intérêts.

La Révolution de 1848 n’était pas la victoire du