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firent pour nous montrer que, bien qu’opposés par nos origines, par nos croyances, nous nous rapprochions dans un sentiment commun, celui de l’amour de la liberté et de la haine contre le despotisme de Napoléon.

Dans les rangs de ce jeune barreau, se faisait remarquer également Mauguin, que la nature avait admirablement doué et pour l’intelligence et pour les avantages physiques qui sont loin d’être indifférents chez l’orateur.

Au milieu de ses brillantes facultés, et comme pour les neutraliser, quelque fée maligne avait malheureusement glissé un amour-propre désordonné, qui ne lui a jamais laissé le moindre doute sur son infaillibilité. La confiance en soi, dans une certaine mesure, est un élément de force et de succès ; les hommes sont naturellement livrés au doute et à l’hésitation : celui d’entre eux qui ne doute ni n’hésite jamais a déjà sur ses semblables une véritable supériorité. Je dis dans une certaine mesure, car, si cette confiance est telle qu’elle ne permette pas à celui qui la ressent d’apercevoir les différentes faces d’une question, si elle éloigne et dédaigne tout conseil, alors elle devient un véritable aveuglement : l’avortement est inévitable. La fable d’Adonis est vraie au moral comme au physique : c’est, je le crois, l’histoire de Mauguin.

Avec les plus beaux éléments de succès, après les plus brillants débuts au barreau et à la tribune, après avoir même occupé le premier rang pendant quelque temps parmi les orateurs de l’opposition, cette malheureuse infatuation de lui-même l’a fait déchoir et n’a malheureusement pas compromis seulement sa carrière politique, mais lui a causé des embarras de fortune qui ont empoisonné les derniers jours de sa vie.