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le témoignage dans les notes qu’on envoyait à nos parents. Cet enfant, y était-il dit, peut tout ce qu’il veut ; mais il veut à son heure.

Je me rappelle le mouvement d’indignation que je ressentis lorsque, tout enfant que j’étais encore, je vis pour la première fois nos soldats marqués de la lettre N. « Tiens, dis-je avec amertume à un de mes camarades, je crois que c’était le jeune Oudinot ; il n’y a pas longtemps que j’ai vu passer un troupeau de moutons qui portaient aussi la lettre initiale de leur propriétaire. »

Je suis bien loin cependant de regretter cette éducation à moitié militaire et un peu rude que j’ai reçue à Saint-Cyr. Mes études ont pu en souffrir, mais mon corps et mon caractère ne s’en sont pas mal trouvés.

Il vint un moment cependant où mon père dut me retirer de Saint-Cyr : tout notre temps y était employé en exercices militaires. Nous nous vantions de manœuvrer mieux qu’aucun régiment de l’Empire, et, tous les ans, Napoléon faisait au milieu de nous sa triste moisson. À une certaine époque de l’année, on voyait ces pauvres jeunes gens, à peine adolescents, sortir de nos rangs ; quelques jours après, ils venaient nous visiter, fiers de leurs galons de sergents ou de fourriers, et puis à peine quelques mois s’étaient écoulés qu’un funeste bulletin nous apprenait combien avaient été courts leurs rêves de gloire.

Je n’avais pas grande disposition pour être soldat ; mon père, de son côté, voulait que je fusse avocat ; il me mit au lycée Napoléon, à Paris, pour y achever mes études. Là, je fis, ou plutôt je refis ma seconde et ma rhétorique ; car j’avais fait ces deux classes à Saint-Cyr, mais d’une manière trop imparfaite. Malgré ce retard, à dix neuf-ans j’avais terminé mes classes, j’étais licencié en droit et reçu avocat. Ma prestation