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ses membres. C’est ainsi que vivaient ces conventionnels qui faisaient trembler le monde.

Quand l’âge des études sérieuses commença pour moi, j’entrai au Prytanée de Saint-Cyr qui venait d’être fondé. M. Chaptal, ami et compatriote de mon père, lui avait signalé cet établissement comme étant l’objet de la prédilection du gouvernement qui y avait placé les professeurs les plus distingués ; et, en effet, dans le commencement, les études y étaient assez fortes ; mais, à raison de cette prédilection même du gouvernement, l’institution se dénatura, et finit par devenir une sorte de succursale de l’école militaire de Fontainebleau. Les événements marchaient ; le consulat succédait à la république, l’empire au consulat, et nous avions parmi nos camarades un grand nombre de fils de généraux illustres, Désaix, Kléber, Oudinot ou de grands fonctionnaires de l’Empire. Aussi Napoléon, au retour de chacune de ses campagnes, ne manquait-il jamais de venir nous passer en revue. J’ai même eu quelquefois l’honneur, pour le désordre de ma tenue militaire, d’attirer l’attention de Sa Majesté qui daigna de sa main impériale agrafer mon uniforme, et de son côté, notre excellent proviseur, M. Crouzat, ne laissait jamais échapper l’occasion de refaire sa harangue obligée sur les temps héroïques de l’antiquité effacés par les exploits du grand homme des temps modernes, et de rappeler que Saint-Cyr, qui, sous la monarchie, était un nid de colombes, était devenu un nid d’aiglons sous l’empire.

Comment toute cette jeunesse n’eût-elle pas été enivrée des gloires de cette époque et ne se fût-elle pas dévouée corps et âme à celui qui les personnifiait ? Et comment, moi-même, à cet âge où les impressions sont si vives et se reçoivent si facilement, ai-je pu échapper à cette contagion ? Je le dois, sans doute, à une certaine indépendance naturelle dont je retrouve