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assassinat furent arrêtés et fusillés. Mon père eut toujours le soupçon que l’affaire de l’abbé de Ceyran et les ressentiments qu’elle avait laissés après elle pouvaient bien avoir été pour quelque chose dans l’acharnement de ces bandes qui se disaient l’armée de la Foi.

Ce ne sont, au reste, que de simples soupçons contre lesquels l’abbé de Ceyran, que mon père avait eu la générosité de faire rayer de la liste des émigrés, se défendit dans une série de lettres que j’ai retrouvées dans nos vieux papiers de Planchamp.

Telles étaient les crises au milieu desquelles se passa mon enfance. Il arrivait parfois à mon père, le plus doux et le plus naturellement bienveillant des hommes, attristé par toutes ces scènes violentes, de regarder ses enfants, les larmes dans les yeux, et de nous dire « Mes pauvres enfants, je traverse de bien mauvais jours, mais ce qui me console, c’est que vous n’en verrez pas de pareils. » Il se trompait : son fils devait revoir à peu près ces mêmes scènes de violence, et si j’avais des fils, je n’oserais pas leur donner l’assurance qu’ils n’en verraient pas de pareilles à leur tour. Terrible cercle dont il faudra bien que la France sorte un jour pour sa régénération ou pour la mort.

Je ne dis rien des crises de misère et de famine que toutes les familles, les riches comme les pauvres, eurent à subir à cette triste époque. La nation enfiévrée avait tout détruit et prétendait tout reconstruire à neuf, selon le modèle que ses idéologues lui avaient tracé : elle n’avait oublié qu’une seule chose, c’était de cultiver ses champs ; en outre, par ses émissions désordonnées de papier-monnaie, il fallait des monceaux d’assignats pour se procurer une livre de pain ou de viande, et je me souviens d’avoir vu dans les mains de ma mère des bons pour quelques paquets de chandelles que la Convention délivrait à chacun de