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M. Buffet, était venu le voir, et il avait voulu le recevoir, malgré les représentations de sa famille. C’était un suprême effort, et, dans son ardent désir d’être utile à son pays, il trouva, en exposant son opinion sur les deux Chambres, un dernier souffle d’éloquence. À partir de ce moment, il ne prononça plus que des paroles brèves et sans portée, et le 6 août, il s’éteignit doucement[1].

Un écrivain qui l’a bien connu disait, le lendemain de sa mort, qu’il n’avait pas été seulement un excellent citoyen, un homme politique considérable, un grand orateur, un jurisconsulte éminent ; mais que c’était en outre un type, et que nul autre n’avait mieux résumé en sa personne la noblesse, la générosité, les illusions même du libéralisme français. À ce portrait fort ressemblant, il manque un trait, c’est qu’il n’était pas d’homme meilleur et plus digne de toute l’affection de ses amis, de tout le respect de ses adversaires. Pendant une vie fort agitée, pas un mauvais sentiment n’était entré dans son âme, et il avait pour ceux-là même qui le méconnaissaient et l’outrageaient, des trésors d’indulgence. S’il avait tort, c’était de trop juger les autres d’après lui-même et de croire que, dans tout débat, le dernier mot doit nécessairement appartenir aux meilleures raisons. N’est-ce pas par suite de cette croyance qu’il se flattait encore, peu de temps avant le coup d’État, de ramener le président à

  1. Je tiens ces tristes détails de son frère Ferdinand Barrot, qui a assisté à sa longue agonie.