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pendant vingt ans, au pouvoir personnel d’un Bonaparte. À cette époque douloureuse, les sentiments de M. Odilon Barrot furent ceux de tous les bons citoyens, et, dès que l’Assemblée se réunit à Bordeaux, il vint, à la demande de M. Thiers, lui apporter ses conseils et l’autorité de son nom. Plus que jamais, M. Thiers regrettait de ne pas l’avoir à ses côtés dans la Chambre, et le jour où le Conseil d’État fut constitué, il l’appela à le présider.

M. Odilon Barrot était alors malade, et, dans ses conversations intimes avec ses amis, il prévoyait qu’il n’avait pas longtemps à vivre ; mais, quand il y avait un service à rendre, il ne croyait pas qu’il lui fût permis de s’abstenir. Il accepta donc cette nouvelle tâche, et rien n’égale le scrupule avec lequel il voulut la remplir. Je l’ai vu, l’hiver qui a précédé sa mort, revenant du Conseil d’État, fatigué, épuisé, mais ne voulant pas admettre que le soin de sa santé pût le retenir un seul jour. Malheureusement, ses forces n’étaient pas en rapport avec sa volonté, et, dans l’été de 1873, il dut se mettre au lit. Il fut bientôt aisé de voir que les sources de la vie étaient taries ; et tandis que les journaux parlaient de convalescence, ceux qui l’entouraient de leurs soins affectueux perdaient toute espérance. Chaque jour il s’affaiblissait ; ses yeux restaient fermés, et il était muet. Quelquefois pourtant, en entendant une voix amie, il paraissait se réveiller, et l’on comprenait, à son regard clair et ferme, que la vie intellectuelle n’était point éteinte. Dix jours avant sa mort, le président de l’Assemblée nationale,