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triomphe du principe pour lequel il avait combattu. À ses yeux, le matériel du pouvoir n’était rien, et il n’aurait aimé à être ministre que pour introduire dans la législation quelques-unes des idées qui lui étaient chères ; mais il se tenait pour satisfait si elles y pénétraient par d’autres mains que les siennes.

Pendant cette phase si brillante de sa vie, M. Odilon Barrot eut le malheur de perdre une fille unique élevée par lui, accomplie, sur laquelle reposaient toutes ses espérances. C’est là une de ces douleurs qui abattent les courages les plus fermes, et le père en est resté inconsolable ; mais pour le citoyen il y avait une chose encore au-dessus de la famille, la Patrie, et au lieu de s’abandonner lâchement à son chagrin, il se mit plus que jamais au service de la France ; fidèle allié de M. Thiers pendant son second ministère, puis adversaire persévérant de M. Guizot et prenant part à tous les grands débats, sans qu’un seul jour l’esprit de parti le fît dévier de la politique libérale et modérée à laquelle il s’était consacré. On lui a reproché, on lui reproche encore la campagne des banquets, mais on oublie que cette campagne avait été commencée pour répondre à un défi du gouvernement qui, dans le débat sur la réforme électorale, avait nié que le pays y prît le moindre intérêt. Il est possible qu’à cette époque nous ayons trop oublié qu’en France on ne sait pas assez distinguer la résistance légale de l’insurrection ; mais il n’est pas un pays libre où l’opposition n’ait recours à de pareils moyens, et dans les pays dont les institutions ressemblent le plus aux