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la vie de boheme

pas au banquet de la vie avec l’intention de maudire les convives au dessert ; au dessert je roule sous la table, et ma muse, une bonne grosse fille à l’œil insolent, au nez retroussé, me ramasse, me reconduit au logis en trébuchant, et nous passons la nuit à rire ensemble de ceux qui nous ont payé à dîner. C’est de l’ingratitude si vous voulez, mais c’est amusant.

Durandin.

Et qu’est-ce que ça te rapporte, ça ?

Rodolphe.

Ce que ça me rapporte ?… absolument rien, pour le moment ; mais ça me rapportera plus tard. Vous avez étudié les hommes et vous spéculez sur les télégraphes ; vous vivez de votre expérience, moi je veux vivre de mon imagination, je ferai tout ce qu’on voudra : du triste, du gai, du plaisant, du sévère ! je ferai du sentiment à jeun et de la gaudriole après le dîner… (Se frappant le front.) Mes capitaux sont là. Une entreprise superbe sous la raison Piochage et compagnie. Capital social, courage, esprit et gaieté.

Durandin.

Mais en vérité je suis bien bon de l’écouter. Mme de Rouvre arrive aujourd’hui dans une heure.

Rodolphe.

Vous faites bien de me prévenir, mon oncle. Je m’en vais tout de suite… (Il remonte.)

Durandin.

Un pas de plus, et je te déshérite.

Rodolphe, s’arrêtant.

Fichtre, je demande à m’asseoir.

Durandin, s’asseyant sur le banc avec son neveu.

Écoute, mon garçon… autrefois tu as fait la cour à