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LES MILIEUX SYMBOLISTES

l’hôtel veillait un suisse en costume, porteur d’une hallebarde symbolique. À l’intérieur, les garçons circulaient et servaient en habits d’académiciens. Dans la journée, le public était admis au rez-de-chaussée et au premier. Il écoutait d’excellents compositeurs, prenait des apéritifs de marque et pouvait à son aise admirer les toiles des artistes de la maison. Le soir, on lui donnait accès au deuxième étage. C’est là qu’était situé le théâtre où tant de poètes, parmi lesquels un académicien d’aujourd’hui, vinrent débiter leurs premiers vers. Sur les tréteaux du Chat-Noir défilèrent en effet des poètes comme Jean Rousseau, Ogier d’Ivry, Armand Masson, Goudeau, Maurice Rollinat, Samain, Moréas ; des compositeurs : Truchaut, Meusy, Félix Décori, Jean Floux ; des chanteurs : Fragerolle, Mac-Nab, Jules Jouy. Dès janvier 1882, Rodolphe Salis avait de plus créé un journal, le Chat-Noir. Le premier numéro eut un gros succès de gaieté. Entre autres nouvelles, le gentilhomme y mentionnait, par cette annonce, la fondation de son établissement :

Le Chat-Noir,
Cabaret Louis XIII,
Fondé en 1114 par un Fumiste.


Le journal servait de recueil à la plupart des pièces récitées ou exécutées par les artistes du cabaret. La vogue du Chat-Noir fut d’assez longue durée. Bien des poètes doivent à Rodolphe Salis d’avoir pris contact avec le public. Mais on se lasse de tout, même des excentricités spirituelles. Le Chat-Noir eut le destin des autres cénacles. Il avait du reste rempli son office, ayant entretenu le temps nécessaire un état d’esprit nouveau dont l’art français allait bénéficier.

4. À la rive gauche, les Décadents, à la tête desquels s’était placé Jules Lévy, n’eurent point le succès du Chat-Noir. Après de vagues réunions, restées sans grand écho, les