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LE SYMBOLISME



La nature est un temple où de vivants piliers
Laissent parfois sortir de confuses paroles.
L’Homme y passe à travers des forêts de symboles
Qui l’observent avec des regards familiers…
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.


Ce don des Correspondances est le fruit d’une imagination extrêmement déliée ; chez Baudelaire, une nervosité excessive prend le pas sur l’entendement. Du reste le poète, apôtre de la sensation, recherche moins l’idée que l’impression. Il écoute résonner ses nerfs sous le flot des contingences infinies et par eux il perçoit l’écho du monde invisible. De là une poétique originale, une métrique personnelle et un style profondément suggestif. Quand il compose, il ne suit pas un ordre logique, car le but qu’il poursuit n’est pas de traduire une idée mais de provoquer chez le lecteur un état d’âme. Aussi ne procède-t-il ni par syllogismes éloquents, ni par tableaux descriptifs, mais par association de sensations. Cette association s’organise volontairement et consciemment en vue de susciter la surprise et l’étonnement, ce qui, au sens de Baudelaire, est le meilleur moyen de produire chez autrui la sensation du beau. L’éloquence, la passion, la spontanéité doivent donc être proscrits de la poésie. L’art est une mosaïque difficile de sensations rares. Il exige un effort volontaire, il s’obtient par un travail acharné : « C’est cet admirable, cet immortel instinct du Beau, écrit Baudelaire, qui nous fait considérer la terre et ses spectacles comme un aperçu, comme une correspondance du ciel. La soif insatiable de tout ce qui est au delà et que voile la vie est la preuve la plus vivante de notre immortalité. C’est à la fois par la poésie et à travers la poésie, par et à travers la musique que l’âme entrevoit les splendeurs situées derrière le tombeau. Et quand un poème exquis amène les larmes au bord des yeux, ces larmes ne sont pas la preuve d’un excès de jouissance, elles sont bien plutôt un témoignage d’une mélancolie irritée, d’une postulation de nerfs, d’une nature