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LES PRÉCURSEURS DU SYMBOLISME

À ce jeu délicat qui veut être senti
Bien aisément se heurte un pas inaverti ;
Cet air de prose au loin, sans que rien le rehausse
Peut faire voir des prés comme en verrait la Bauce.
Mais soudain le pied manque et l’on dit : Faute d’Art !
Qui donc irait courir dans Venise au hasard ?


Sainte-Beuve n’a-t-il pas signé dans ce dernier distique les lettres patentes de cette spontanéité excentrique que l’école de Verlaine tiendra plus tard si fort en honneur ? Certaines bizarreries de versification et de langage trouvent aussi leur justification chez Sainte-Beuve autant dans les exemples qu’il fournit lui-même que dans les notes explicatives où il s’efforce de légitimer ses fantaisies de virtuose et de styliste. Dans les Pensées d’Août, à la fin de cet étrange poème intitulé Monsieur Jean qui devait être le pendant janséniste de Jocelyn, il imprime cette réflexion : « Je prie les personnes qui liront sérieusement ces études et qui s’occupent encore de la forme, de remarquer si dans quelques vers qui, au premier abord, leur sembleraient un peu durs ou négligés, il n’y aurait pas précisément une tentative, une intention d’harmonie particulière par allitération, assonance, etc., ressources que notre poésie classique a trop ignorées, dont la poésie classique des anciens abonde et qui peuvent dans certain cas rendre à notre prosodie une sorte d’accent. Ainsi Ovide dans ses Remèdes d’Amour :

Vince cupidineas pariter, Partasque saggitas


» Ainsi moi-même dans un des sonnets qui suivent :

J’ai rasé ces rochers que la grâce domine…
Sorrente m’a rendu mon doux rêve infini.


» Mais c’est en dire assez pour ceux qui doivent entendre et beaucoup trop pour les autres. » Comme on entendait peu à cette époque, il précise en commettant des vers de cette allure :