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LE SYMBOLISME

tion du sentiment religieux, de l’inconnaissable et du néant. « En ce temps-ci, écrit-il dans la préface des Consolations, où par bonheur on est las de l’impiété systématique et où le génie d’un maître célèbre réconcilie la philosophie avec les plus nobles facultés de la nature humaine, il se rencontre dans les rangs distingués de la société une certaine classe d’esprits sérieux, moraux, rationnels, vaquant aux idées, aux études, aux discussions, dignes de tout comprendre, peu passionnés et capables seulement d’un enthousiasme d’intelligence qui témoignent de leur amour ardent pour la vérité. À ces esprits de choix, au milieu de leur vie commode, de leur loisir occupé, de leur développement tout intellectuel, la religion philosophique suffit ; ce qui leur importe particulièrement, c’est de se rendre raison des choses. Quand ils ont expliqué, ils sont satisfaits ; aussi le côté inexplicable leur échappe-t-il souvent, et ils le traiteraient volontiers de chimère, s’ils ne trouvaient moyen de l’assujettir en le simplifiant à leur mode d’interprétation universelle. Le dirai-je ? Ce sont des esprits plutôt que des âmes ; ils habitent les régions moyennes ; ils n’ont pas pénétré fort avant dans les voies douloureuses et impures du cœur ; ils ne se sont pas rafraîchis, après les flammes de l’expiation, dans la sérénité d’un éther inaltérable ; ils n’ont pas senti la vie au vif. » Le but de l’art est en effet bien différent de celui de la science. Le plaisir qu’on demande à la poésie ne ressemble pas au plaisir qu’on poursuit dans un traité de psychologie. L’art n’a que faire des formules étroites qui tendent à l’assimiler à la science. Sa fonction essentielle, c’est de créer une vie imaginaire qui laisse à l’âme toute sa liberté d’épanouissement. Le but est toujours atteint si le poète réussit à déterminer chez le lecteur une émotion esthétique, qui à son tour déclanchera toute une série d’émotions suggestives. Pour asseoir sa théorie, Sainte-Beuve reprend à son compte cette opinion formulée par Diderot dans une lettre à Mlle Vouland : « Une seule qualité physique peut conduire l’esprit qui s’en occupe