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LES PRÉCURSEURS DU SYMBOLISME

d’originales en harmonie avec l’énigme dont son âme est harcelée. C’est la majestueuse allégorie de cette Bouteille à la mer, cette pensée précieuse qui flotte à l’aventure sur la surface agitée des mers humaines. C’est la Mort du loup cette objectivation fantastique de la dignité humaine sous l’inéluctable fardeau de la douleur. La poétique de Vigny ne va pas non plus sans quelques modifications formelles. La puissance suggestive et plastique des symboles permet au poète de resserrer sa phrase en évitant l’abondance verbale et ses ressources habituelles. Lamartine prodiguait les mots et par la musique des syllabes réussissait à multiplier l’intensité de ses impressions. Vigny en élague le plus possible. La force essentielle de l’image suffit sans phraséologie ni virtuosité à la force évocatrice de la pensée. Lamartine haïssait la rhétorique comme hostile à la sincérité. Vigny la récuse parce qu’elle étouffe l’idée sous les mots. C’est par là qu’il a servi de modèle à ses disciples, apôtres fervents de la constriction du langage. Vigny leur en avait indiqué la beauté. Ils ont eu tort d’oublier que le maître avait épuisé les procédés de cette technique et qu’après lui on pouvait imiter mais non perfectionner. Vigny est sans doute l’aïeul de Mallarmé, comme Lamartine est celui de Verlaine, mais ni l’un ni l’autre ne sauraient être rendus responsables des paradoxes exécutés par les enfants perdus de leur poétique.

6. Victor Hugo résume à la fois Lamartine et Vigny, son instinct de poète le faisant évoluer de la manière de l’un à la technique de l’autre. Comme Lamartine, il possède éminemment l’art de transformer les choses par l’imagination et de les élever à la hauteur du symbole. Voici un coucher de soleil qui tourne à l’obsession sinistre :

Le couchant n’était plus qu’une lame sanglante…
Et l’on eût dit l’épée effrayante du ciel,
Rouge et tombée à terre après une bataille[1].

  1. L’Année terrible.