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LE SYMBOLISME

ver le courant symbolique. Sans doute Ronsard paraît bien être par certains côtés le continuateur des mystiques, mais son originalité est précisément dans l’orientation nouvelle qu’il imprime à la poésie. Loin de poursuivre comme ses devanciers un idéalisme métaphysique ou religieux, il puise son inspiration hors de la religion et se dresse énergiquement contre la folie philologique des grands rhétoriqueurs et de leurs disciples directs ou indirects. S’il retrouve pour la poésie la veine antique et la veine personnelle, il n’y a rien dans son œuvre, à quelques exceptions près [1], qui révèle en lui le tourment du mystérieux. Le rationalisme qui jusqu’à Rousseau et même après lui domine la littérature, efface de notre poésie toutes tendances mystiques. C’est à Chateaubriand que revient l’honneur de renouer la tradition. Par son Génie du Christianisme il démontrait qu’il n’y a pas de poésie sans religion. L’inspiration chrétienne unit le beau et le vrai. Les monuments gothiques ont leur magnificence. La Bible est supérieure à l’Iliade, à l’Odyssée et plus encore à l’Énéide. La littérature classique est une erreur ; la mythologie a rapetissé la nature. Pour lui restituer sa grandeur, pour accroître son amplitude, l’unique moyen consiste à rendre au christianisme sa valeur d’inspiration, à le considérer comme l’une des premières et des plus riches sources de poésie ; en d’autres termes, il est nécessaire d’unir la nature à Dieu, de l’agrandir en la joignant à son créateur. C’était un changement d’esthétique, Chateaubriand signifiait que l’art moderne veut une inspiration moderne. La religion et l’art n’étaient pour lui que deux rameaux d’une même souche. L’orgueil incommensurable du poète va donner à son mysticisme un caractère particulier, celui-là même qui sera pour beaucoup de symbolistes la pierre de touche de leur doctrine : la perversité.

  1. Par exemple le sonnet : Comme on soulait si plus on ne meblasme. Ronsard, Amours, I, 201.