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LES MALLARMÉENS

avoir laissé de regrets : « Je ne serai jamais un compositeur, écrivait-il, mes eaux-fortes ne sont que cochonnées et mes vers demeurent plats, et je n’ai pas le temps surtout… Et pourtant si je savais le métier — et la patience — je ferais de la sculpture polychrome qui révolutionnerait, de la musique qui serait le dernier mot du ravissement dans l’Imprévu Infini, des vers philosophiques à Bible définitive [1]. » N’est-ce pas explicitement reconnaître que si l’instinct quotidien fournit au compositeur sa matière, le métier seul fait l’artiste ?

9. Francis Vielé-Griffin. — C’est ce qu’a bien compris Francis Vielé-Griffin. Sans adopter les théories extrêmes de Kahn, mais sans rejeter non plus l’art instinctif qui, d’après Laforgue, constitue le principe essentiel de l’inspiration symbolique, Vielé-Griffin accorde à la forme une importance méritée. Son œuvre moins spontanée que celle de Laforgue est aussi travaillée que celle de Kahn, ce qui ne l’empêche pas d’être beaucoup plus claire.

Le symbolisme de Vielé-Griffin procède d’une triple réfutation du classicisme, du Parnasse et du naturalisme. Au classicisme il reproche de poser le beau en modèle immuable et préformé, d’interpréter ses lois en axiomes définis. Or, « les lois du Beau ne peuvent s’établir qu’a posteriori et par là semblent usurper le nom de lois pour mériter celui de formules : au lieu de « lois du Beau » il faudrait dire « formules » pour donner une illusion approximative du Beau conventionnel [2] ». Vielé-Griffin n’accepte pas la prosodie intangible, conséquence nécessaire d’une esthétique à principe fixe. Son instinct d’artiste se révolte aussi bien contre la tyrannie d’un pareil idéal que contre l’étroite servitude d’une forme mono-

  1. Inédits de Lafforgue. Entretiens politiques et littéraires, p. 5.
  2. Réflexions sur l’art des vers. Entretiens politiques et littéraires, 1892, t. IV, p. 215.