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LES MALLARMÉENS

est Dieu, il est tout. « Il est un domaine qui, on le sait, vient d’ouvrir à la science les forêts vierges de la vie, c’est l’atmosphère occulte de l’être, l’inconscience. Ce monde réservait à la créature débarrassée de ses dieux personnels, conscients et parfaits, mais qui ne trompaient pas ses siècles d’adoration perpétuelle, le dernier divin, le principe mystique, universel, révélé dans la Philosophie de l’Inconscient de Hartmann, le seul divin, minutieusement présent et veillant partout, le seul infaillible — de par son inconscience — le seul vraiment et sereinement infini, le seul que l’homme n’ait pas créé à son image. Et l’essence de la loi ne peut être que du domaine de l’Inconscience [1]. » La fin de l’être est donc de tendre à la découverte de cet inconscient. Cela est si vrai que nous en avons comme une preuve matérielle ; en effet, « plus l’activité de l’esprit confine au domaine de l’Inconscient, moins la fatigue se fait sentir [2]. » Or, comment se découvre cet Inconscient ? « Il n’est pas à chercher dans les perceptions infinitésimales uniquement [3]. » Pour le surprendre, « il suffit d’épier des Instincts avec autant que possible absence de calcul, de volonté, de peur de les faire dévier de leur naturel, de les influencer [4] ». Il ne faut pas dire les raisons, les mobiles, car ici-bas tout est stupéfiant, tout divague et tâtonne ; la vie est comme un soliloque hagard [5]. L’idéal du poète, c’est la vie inconsciente, végétative où l’on regarde avec étonnement palpiter son être, où l’on prend des notes sur soi-même. Gardons-nous de cette science intensive vers laquelle s’oriente à notre époque la civilisation. « La culture bénie de l’avenir est la déculture, la mise en jachère [6]. » Retournons vers les grandes eaux de

  1. L’Art moderne en Allemagne. Revue blanche, 1895, t. IX, p. 293.
  2. Posthumes de Laforgue.
  3. Inédits de Laforgue, p. 50.
  4. Inédits de Laforgue, p. 50.
  5. Inédits de Laforgue, p. 3.
  6. Inédits de Laforgue, p. 50.