unité d’harmonie ne résidera plus dans un mécanisme nombré autant fait pour satisfaire l’œil que l’oreille, dans une écriture à terminologie consonante dont le distique à rime est le type, mais bien dans son principe d’origine, dans la pensée ou dans l’émotion et surtout dans le mouvement de cette pensée ou de cette émotion. Le vers se trouvait ainsi d’un seul coup affranchi de la double tyrannie qui l’anémiait : celle du nombre fixe des pieds, celle de la rime. Avant Kahn le vers était comme un écureuil qui faisait tourner sa cage avec un geste uniforme. Avec lui c’est un oiseau qui s’envole au gré de sa fantaisie vers les espaces sans limite.
Un exemple permettra de mieux saisir l’originalité de cette thèse.
Voici deux vers d’Athalie :
Oui, je viens dans son temple adorer l’Éternel,
Je viens, selon l’usage antique et solennel…
D’après l’ancienne métrique ces deux vers se décomposent
ainsi :
Oui, je viens dans son temple | adorer l’Éternel,
Je viens, selon l’usage | antique et solennel
soit deux hémistiches de six pieds. Cela prouve, conclut
Gustave Kahn, que ce distique est composé de quatre vers
blancs de six pieds. Oui, je viens dans son temple est un
vers blanc ; adorer l’Éternel serait aussi un vers blanc si,
par habitude, ou n’était sûr de trouver la rime à la fin du
second vers. Si l’on pousse plus loin l’investigation on
découvre que ces vers sont ainsi scandés :
3 3 3 3 Oui, je viens — dans son temple — adorer — l’Éternel
2 4 2 4 Je viens — selon l’usage — antique — et solennel