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LE SYMBOLISME

terre de sienne, vilaine couleur ! Aller à un premier rendez-vous, couleur thé léger ; à un vingtième, thé chargé, Quant au bonheur complet…, couleur que je ne connais pas. » Le romancier symboliste Poictevin avait repris avec infiniment de grâce et une conviction touchante cette préciosité nouveau style. Enfin Rimbaud avait publié ce fameux sonnet des voyelles, qu’il devait plus tard dénoncer comme une de ses plus amusantes folies.

VOYELLES


A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu, voyelles,
Je dirai quelque jour vos naissances latentes.
A, noir corset velu des mouches éclatantes
Qui bombillent autour des puanteurs cruelles,

Golfes d’ombre : E, candeur des vapeurs et des tentes,
Lame des glaciers fiers, rois blancs, frissons d’ombelles ;
I, pourpres, sang craché, rire des lèvres belles
Dans la colère ou les ivresses pénitentes ;

U, cycles, vibrement divins des mers virides,
Paix des pâtis semés d’animaux, paix des rides
Que l’alchimie imprime aux grands fronts studieux ;

O, suprême Clairon plein de strideurs étranges,
Silences traversés des Mondes et des Anges :
— O l’Oméga, rayon violet de ses yeux.


Ce sonnet fut pour René Ghil une révélation. Il en contrôla l’exactitude en vérifiant les données de Rimbaud par ses propres perceptions, ce qui amena de notables différences dans les appréciations des deux poètes. René Ghil aboutit à ce tableau de voyelles colorées.