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LE SYMBOLISME

de chacun ; car la poésie ne dépend ni d’une formule ni d’une méthode, mais uniquement du tempérament de l’individu ; la poésie est partout et dans tout. C’est le parfum secret de toutes les œuvres de la nature : « Toutes choses sont bonnes à décrire. Mais les choses naturelles ne sont pas seulement le pain, la viande, l’eau, le sel, la lampe, la clé, les arbres et les moutons, l’homme et la femme et la gaîté ; il y a aussi parmi elles des cygnes, des lys, des blasons, des couronnes et la tristesse. Que voulez-vous, poursuit Jammes, que je pense d’un homme qui parce qu’il chante la vie, veut m’empêcher de célébrer la mort ou inversement ; ou qui parce qu’il dépeint un thyrse ou un habit à pans d’hermine, veut m’obliger à ne pas écrire sur un rateau ou une paire de bas ? [1] » Hors de nous, toutes les formes du monde extérieur peuvent donc être matière à poésie. En nous, la nature a mis des sentiments bons ou mauvais, tristes ou gais qui du point de vue poétique, présentent les uns et les autres un égal intérêt : « Je trouve tout naturel qu’un poète, couché avec une jolie petite femme dure, préfère dans ce moment l’existence à la mort. Cependant, si un poète qui a tout perdu dans ce monde, qui est atteint d’une cruelle maladie et qui a la foi, compose des vers sincères où il demande au Créateur de le délivrer bientôt de la vie, je le trouve raisonnable [2]. »

Objectivement et subjectivement, pour Francis Jammes, tout ce qui est naturel est vrai et tout ce qui est vrai est poétique. Or le monde extérieur est pour le poète une mine inépuisable d’impressions toujours neuves. Il y a les choses, il y a les animaux, il y a les gens. Tous vivent d’une vie mystérieuse, végétative ou active. Il suffit de sympathiser avec tous sans exclusivisme, d’avoir à leur contact « la candeur émerveillée d’un enfant » pour que tous vous révèlent la poésie qu’ils recèlent en eux. « C’est avec légèreté, dit

  1. Un Manifeste littéraire, III.
  2. Id., IV.