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LE SYMBOLISME


Il a démontré que le vers même libéré était un moule trop étroit pour traduire le flot des impressions, et il lui a préféré une forme qui n’est plus le vers et qui n’est pas encore la prose : cette prose poétique des Illuminations, elliptiques à l’excès, mais bourrée de métaphores, de répétitions, d’allitérations et rythmée en modes aussi variés que la sensation elle-même.

C’est le repos éclairé, ni fièvre, ni langueur, sur le lit ou sur le pré
C’est l’ami, ni ardent, ni faible. L’ami
C’est l’aimée ni tourmentante, ni tourmentée. L’aimée
L’air et le monde point cherchés. La vie
— Était-ce donc ceci ?
— Et le rêve fraîchit[1].


Il a enfin très nettement établi que la vérité poétique était voisine de la simplicité la plus grande, celle même qui confine à la naïveté, et qu’être véritablement poète, c’est être l’instrument évocateur le plus précis des pensées les plus profondes aussi bien que des réflexions les plus enfantines :

Au bois, il y a un oiseau, son chant vous arrête et vous fait rougir
Il y a une horloge qui ne sonne pas
Il y a une fondrière avec un nid de bêtes blanches
Il y a une cathédrale qui descend et un lac qui monte
Il y a une petite voiture abandonnée dans le taillis ou qui descend
[le sentier en courant, enrubannée].
Il y a une troupe de petits comédiens en costumes, aperçus sur
[la route à travers la lisière du bois].
Il y a enfin, quand l’on a faim et soif, quelqu’un qui vous chasse[2].


Rimbaud a donc, dans cette période, résumé par anticipation toutes les tentatives qui ont été faites, de son temps ou après lui dans la poésie française. Plus excentrique que Cros et que

  1. Les Illuminations : Veillées, I.
  2. Id. : Enfance, III.